Vingt ans après la destruction des Bouddhas géants de Bâmiyân, le Louvre-Lens présente trois œuvres de Pascal Convert, issues des collections du Centre national des arts plastiques. Plasticien, écrivain et historien français, Pascal Convert place la question de la mémoire et de l’oubli au cœur de son travail.
C’est au printemps 2016 que l’Ambassade de France en Afghanistan invite l’artiste français Pascal Convert (né en 1957) à réfléchir à une œuvre pour commémorer le quinzième anniversaire de cette destruction. Sur place, l’artiste réalise des captations de la falaise défigurée. De retour en France avec des milliers de relevés photographiques et scans 3D, il crée une œuvre photographique monumentale constituée de 15 panneaux différents formant une vue panoramique de la falaise. D’une technicité remarquable, cette œuvre singulière est complétée d’un polyptyque photographique de l’intérieur d’une grotte et d’un film témoignant de sa rencontre avec les enfants de Bâmiyân.
Lieu d’étape et de pèlerinage habité depuis des siècles, ce paysage culturel est inscrit au patrimoine mondial en péril de l’UNESCO depuis 2003.
PANORAMIQUE DE LA FALAISE DE BAMIYAN, Afghanistan, 2017, Polyptyque photographique
15 épreuves contact Platine-Palladium (tirage : 2020) réalisées avec l’assistance de la société Iconem pour la numérisation 3D et de la société Cornis pour la réalisation de la prise de vue. Dimensions de chaque tirage : 1,60 x 1,10 m pour un total de 1,60 x 16,5 m.
Dépôt du Centre national des arts plastiques
Face à la Galerie du temps qui offre 5 000 ans d’histoire en un regard, se déploie une œuvre contemporaine, un panorama photographique de la Falaise de Bâmiyân, réalisé par l’artiste Pascal Convert en 2017. Constellée de 750 petites grottes, la falaise est ici marquée par deux larges trous noirs. Il s’agit des niches où se dressaient les deux statues colossales (53 et 38 mètres de hauteur) de Bouddhas debout, taillées à même la falaise au cours du 6e siècle de notre ère et anéanties par les talibans en mars 2001. Depuis leur création, leur célèbre sourire, perdu à jamais, formait le symbole rayonnant de la beauté et de la richesse des métissages culturels. Face à eux, la Galerie du temps où s’avancent 220 œuvres du Louvre, sorties du passé, préservées depuis des siècles, en une rencontre silencieuse.
Cette composition photographique forme ainsi un paysage poétique.
Ce relevé archéologique de haute définition – livré par l’artiste à la communauté scientifique – emploie sa force à rappeler à la conscience des femmes et des hommes, la puissance comme la fragilité du patrimoine, l’exigence comme la persistance de la mémoire.
Lors de l’attaque contre le site de Bâmiyân de 2001, les terroristes talibans saccagent également les anciennes cellules des moines creusées dans la roche. Cette composition photographique monumentale, Grotte des talibans, Afghanistan, révèle l’acharnement iconoclaste des talibans qui, déterminés à anéantir les décors de ces grottes, ont d’abord incendié les cryptes avant de les détériorer à coups de chaussures.
GROTTE DES TALIBANS, Afghanistan
2018
Polyptyque photographique
Six épreuves contact Platine Palladium Centre national des arts plastiques
À Bâmiyân, Pascal Convert a aussi l’occasion de saisir la vie qui n’a jamais quitté cette falaise à l’histoire millénaire. Il y filme les regards et les silhouettes espiègles d’enfants jouant à « cache-cache » avec lui dans la falaise. Alternant rires et silences, le film illustre le présent que vivent ces enfants parmi les débris du site. Habitant pour certains dans les anciennes cellules monastiques, ils appartiennent au peuple hazâra, régulièrement discriminé. Comme ces enfants, les images se jouent des aspérités et des ornements de l’ancien sanctuaire, dont le souvenir résiste aux outrages.
LES ENFANTS DE BÂMIYÂN
2017
Film (montage : Fabien Béziat),
20 minutes
Centre national des arts plastiques
Le texte du philosophe Georges Didi-Huberman, ANTRES-TEMPS (RITOURNELLE DE BÂMIYÂN), écrit en 2017, sera intégralement reproduit dans le Pavillon de verre.
Pascal Convert est plasticien (sculpture, installation et vidéo), historien et écrivain. En 1989, il est pensionnaire à la Villa Médicis. En 1998, Georges Didi-Huberman consacre un livre à son œuvre La demeure, la souche, suivi de Sur le fil 2013 (Éditions de Minuit).
En 2002 il réalise le Monument à la Mémoire des Otages et Résistants fusillés au Mont Valérien entre 1941 et 1944. Il poursuit ce travail par un film documentaire Mont Valérien, aux noms des fusillés (Arte-Histoire) qui lui vaut d’être accusé d’accorder une trop grande importance aux résistants étrangers juifs communistes.
A partir des années 2000, son travail sculptural inspiré de trois icônes de presse, la Pietà du Kosovo (Photographie Georges Mérillon), la Madone de Benthala (Photographie Hocine Zaourar), la mort de Mohamed Al Dura à Gaza (AFP/A2) et commandé par le Musée d’Art Moderne Grand Duc Jean du Luxembourg a été exposé en France et à l’étranger, en particulier à l’ONU et à Montréal.
En parallèle, poursuivant ses recherches sur l’époque de la Résistance en France, il publie en 2007 une biographie historique de Joseph Epstein (Éditions Séguier) responsable oublié des FTP d’Île-de-France, fusillé au Mont Valérien en 1944. Il réalise sur Epstein une quatrième sculpture en cristal titrée Le temps scellé (Coll. MNAM) et un documentaire Joseph Epstein, bon pour la légende (Arte). Entre 2009 et 2011 il écrit la biographie (Éditions Le Seuil) et réalise un documentaire (France 2) sur le résistant Raymond Aubrac, puis en 2011 publie un récit biographique La constellation du lion (Éditions Grasset), suivi de Conversion.
En 2016, à l’invitation de l’Ambassade de France, il se rend en Afghanistan dans l’idée d’imaginer un projet artistique qui permette de commémorer la destruction par les Talibans des bouddhas de Bâmiyân, le 11 mars 2001. Il en a tiré un projet pour le pavillon français de la Biennale de Venise et le film Les enfants de Bâmiyân qui ont finalement été exposés au Studio National du Fresnoy, à la galerie Eric Dupont (Paris), au Musée Guimet, à Lascaux IV. Sa collaboration avec Georges Didi-Huberman s’est poursuivie à cette occasion avec la création d’un livre d’artiste titré Antres-temps (Éditions E.Dupont). Ses travaux plus récents l’ont conduit vers les problématiques mémorielles en Arménie, en particulier la destruction des Katchkars, œuvres archéologiques et artistiques majeures par les autorités Azerbaïdjanaises. En 2021 dans le cadre du bicentenaire de la mort de Napoléon, Eric de Chassey l’invite à concevoir une œuvre pour le dôme des Invalides.
« C’est évidemment pour moi une grande émotion que le Panoramique de la Falaise de Bâmiyân rejoigne un lieu ouvert à la lumière, un lieu qui donne sens à l’idée même de civilisation, qui s’oppose à la peur, au fanatisme, un lieu de l’esprit qui nous fait nous sentir vivants. Et ensemble. »
Pascal Convert
La sensibilisation du public aux problématiques du patrimoine en danger constitue un enjeu permanent. Déjà en 2016, au moment où Pascal Convert arpentait la falaise de Bâmiyân, le Louvre-Lens consacrait une exposition exceptionnelle à ce patrimoine menacé. Sous le haut patronage de François Hollande, Président de la République, L’Histoire commence en Mésopotamie témoignait de l’engagement du Louvre-Lens et de Marie Lavandier, alors également présidente du conseil de l’ICCROM, en faveur de la diffusion de l’art et de la connaissance, au profit d’une lecture enrichie des relations entre les peuples à travers l’histoire, plus que jamais nécessaire.