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Zoom sur les arbres têtards (ou quand les arbres prennent la grosse tête)

Ils semblent tout droit sortis de l’imaginaire lorsque leur profil macrocéphale nous surprend dans la brume matinale. Les arbres têtards, aussi appelés « trognes » façonnent notre patrimoine paysager rural. On vous dévoile tous leurs mystères…

Des menhirs de bois témoins de notre histoire

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils en imposent avec leurs troncs massifs ! Ils remplissent plusieurs missions :

  • former une solide clôture pour contenir les bêtes tout en leur offrant de l’ombre
  • fournir les foyers en bois de chauffage
  • délimiter les parcelles de terrain

Les premières traces d’arbres trognés ont été découvertes sur un chêne dès le néolithique, et la pratique se développa par la suite jusqu’au Moyen-Âge pour être généralisée aux 19e et 20e siècle, dans la tradition des haies bocagères. Les haies bocagères sont des haies d’arbres et d’arbustes destinées à délimiter une parcelle. Elles peuvent prendre plusieurs formes dont les arbres têtards, les arbres de hauts jets comme le peuplier ou buissonnant, comme le noisetier.

Il existe autant de trognes que de régions. On pourrait dresser une carte de France et constater la richesse du savoir-faire et donc la diversité des appellations ! C’est pourquoi vous avez peut-être  entendu parler de  trogne du gaulois trugna, « nez, museau » ou comme dans notre région d’arbres têtards en conséquence de leur  grosse tête boursoufflée caractéristique. Les essences diffèrent selon le patrimoine local et de la ligne d’exploitation du bois recueilli. Vers le nord nous trouvons beaucoup de saules le long des fossés ou le long des cours d’eau : gourmands en eau ils sont de très bons stabilisateurs de berges. Un tour de France de trognes mettrait en lumière les activités locales que ce soit pour de la vannerie, du fagotage, de la création de piquets ou de manches pour divers outils. Il est ainsi possible de rencontrer des essences très diverses telles que des trognes de chênes, de frêne, de saules ou de platanes.

Les trognes peuvent être utilisés comme repères visuels pour délimiter des parcelles, d’où leur présence le long des clôtures, ou des champs

Pour créer un arbre têtard, de la patience avant tout ?

On admire la persévérance des créateurs de bonzaï qui modèlent décennies après décennies leurs arbres miniatures. Les arbres têtards exigent aussi une coupe régulière, répétée et droite pour aboutir à cette silhouette si particulière. L’arbrisseau est étêté à 1,50m / 2m du sol, ce qui active le développement des bourgeons et favorise la croissance de rejets. Ces rejets sont les branches qui vont être prélevées. Les années passant, le tronc grossit, un bourrelet surmonté d’une plateforme apparaît. Le temps va poursuivre son œuvre et le ruissellement des eaux de pluie va petit à petit creuser le bois, stagner pour finalement former une cavité dans le tronc. Les plus gros spécimens se développent pendant plusieurs décennies avant d’arriver à maturité. Ils finissent d’ailleurs par s’éventrer sous le poids des années s’ils ne sont pas entretenus régulièrement.

Taille de formation d’un saule têtard

Vous souhaitez obtenir votre arbre têtard ? Voici la marche à suivre avec du saule, technique employée au parc du musée où vous aurez le loisir de les voir évoluer au fil des ans !
La taille de formation se fait en hiver, à sève descendue :

  • La première année un baliveau de saule est obtenu en étêtant un jeune arbre (un baliveau est un jeune arbre de 2 à 4 ans choisi pour son profil bien droit et ses belles ramification, il mesure moins de 2,50 m et son diamètre fait moins de 6 cm)
  • La deuxième année, comme le houpier situé en partie supérieure de l’arbre a disparu, la sève va activer la croissance des bourgeons et former ce qu’on appelle des rejets le long du tronc : de futures branches que l’on va supprimer pour ne garder que les branches du dessus.
  • La troisième année, on laisse l’arbre poursuivre sa croissance en continuant d’enlever d’éventuels rejets
  • La quatrième année le saule peut être recépé, il reprendra vigueur au printemps (recéper un arbre consiste à tailler un arbre en arbuste, en le rabattant à un niveau inférieur pour activer sa repousse).

Taille de formation d’un saule têtard

Un formidable foyer de biodiversité

L’atout écologique de ce type d’entretien est considérable car chaque partie de l’arbre sera colonisée par la vie, à plusieurs échelles :

  • Dans les « dendro micro-habitats », ces petits habitats formés par les fentes, trous ou aspérités des écorces dont ces arbres foisonnent sont particulièrement appréciés par les insectes.
  • Sur les troncs et les branches, on observe la formation de la flore épiphyte (avec un développement hors sol sur l’arbre), de la mousse, des lichens, champignons, insectes
  • Dans les crevasses en partie basse : batraciens, reptiles et petits mammifères
  • Dans les niches en hauteur : oiseaux, rapaces ou chauves-souris

Un panel faunistique et floristique très varié qui regroupe de nombreux habitants heureux d’y trouver refuge : un immeuble XXL en soit !

De la fiction à la réalité…

Que l’on soit poète, d’une imagination fertile ou simple spectateur les arbres têtards invitent au questionnement et à la rêverie . Ces arbres seraient-ils des portes vers un monde fantastique ? Empli de mystères et de secrets ? On dit que les sorcières s’y retrouvaient pour pratiquer leurs rituels… Le saule creux d’Harry Potter n’est-il pas un portail magique ?

Dans la réalité, les arbres tétards sont les témoins d’histoires étonnantes, en tant que cachettes pour trésors ou butins. Plus funestement, en temps de guerre, y trouver refuge pour un soldat en fuite était le risque d’être fusillé à même le tronc…

2020 : l’année des trognes

Malgré un abandon progressif de la création de trognes, l’intérêt de la cause écologique et la ténacité de certains défenseurs du patrimoine rural a permis de remettre sur la table les enjeux du renouvellement du parc des haies de trognes national pour éviter son extinction progressive.

L’engouement est tel que des campagnes de plantation ont été mises en œuvre par des associations, et que l’année 2020 a suscité une mobilisation particulière en tant qu’année des trognes !
Consultez le site trognes.fr pour découvrir des randonnées, visites, projections et débats proposés près de chez vous pour creuser encore plus le sujet. L’occasion de découvrir et protéger le patrimoine rural local !

 

Petit glossaire :

Épiphyte :  le terme épiphyte vient du grec έπί, –epi « sur » et de φυτόν, –phyton « végétal » , il désigne un organisme vivant qui se développe en se servant d’un végétal comme support, sans le parasiter. Cela peut être une plante comme l’orchidée, un champignon ou du lichen. Il n’est pas nocif pour son hôte puisqu’il est simplement posé à sa surface, bénéficiant par exemple de la hauteur pour capter l’humidité de l’air ou une meilleure luminosité et se nourrissant des déchets organiques se déposant au creux des branches.

Houpier : Le houpier ou couronne correspond à la partie supérieure d’un arbre juste au-dessus du tronc, c’est la structure de branchages constituée de la ramure (rameaux et branchages) et du feuillage. La cime est la partie de l’extrémité supérieure de l’arbre, au-dessus du houpier.

Rejet : Quand on regarde un arbre, il faut imaginer son volume en racines dans le sol. Comme un effet miroir, il prend de l’envergure au-dessus et en dessous ! Quand un arbre est recépé, c’est-à-dire que ses branches sont coupées à un niveau donné de manière naturelle (quand les vaches les mangent par exemple) ou par la main de l’homme,  le système racinaire lui ne change pas, il va y avoir une poussée de croissance et le développement de bourgeons. On dit alors que l’arbre va  ‘rejeter’ vigoureusement et donc produire ce que l’on appelle des rejets : de nouvelles branches.

Sources :

http://www.oncfs.gouv.fr/IMG/pdf/Arbres-tetards-ONCFS-Focus.pdf

https://trognes.fr/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Trogne_(arbre)

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