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Vous en reprendrez bien une tasse ?

Une invitation gourmande dans le salon de Madame Geoffrin, offerte par Audrey !

Marie-Thérèse Geoffrin, salonnière au 18e siècle

Marie-Thérèse Geoffrin (1699-1777) est une femme importante de l’époque des Lumières. Issue de la bourgeoisie, elle s’est imposée dans le grand monde parisien en tenant son Salon rue Saint-Honoré. Grâce à sa grande fortune, qu’elle injecte quasiment entièrement dans son fonctionnement, son Salon jouit d’une réputation européenne, de même que sa salonnière*. Il faut dire que ces salons sont des lieux de rencontre incontournables de la haute société. Ces grandes réceptions, très fastueuses, sont des lieux de convivialité, où les grands esprits du siècle se rencontrent. On y parle de sciences, de politique, de littérature, des arts, mais on peut aussi y déclamer de la poésie, jouer des pièces de théâtre, ou encore donner des concertos. Les plus grands noms ont franchi la porte du Salon rue Saint-Honoré : Montesquieu, d’Alembert, Diderot, Julie de Lespinasse…

Madame Geoffrin est l’une des salonnières qui ont permis de codifier les Salons, notamment en fixant des dîners hebdomadaires thématisés : le lundi est réservé aux artistes, tandis que les savants, les philosophes et les gens de lettres sont accueillis le mercredi. Sa réputation est telle qu’elle correspond avec un grand nombre de personnalités européennes, y compris des princes et monarques.

C’est le cas avec Stanislas-Auguste Poniatowski (1732-1798), dont la correspondance avec Madame Geoffrin de 1764 à 1777 est disponible ici (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k82523/f3.item). Le jeune Stanislas-Auguste est envoyé pour un voyage en Europe à l’âge de 16 ans. Lors de ce voyage, il fait une étape à Paris où il rencontre de grands noms de la Cour (Marie Leszczyńska, le maréchal de Noailles, le duc de Grèvres…), mais où il est aussi invité dans le Salon de madame Geoffrin. Cette invitation marque profondément le futur roi Stanislas II Auguste (1764-1795) qui y développe un goût pour la culture française au contact de l’abbé Barthélémy, de d’Alembert, de Montesquieu ou encore de Fontenelle.

Cette amitié avec madame Geoffrin est très forte et lorsqu’il est couronné, le roi Stanislas II Auguste l’invite à sa cour en 1766. Madame Geoffrin accepte et profite de ce voyage pour faire un tour d’Europe. Forte de sa réputation, elle est invitée par l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche à venir la rencontrer dans son oratoire privé. Les deux femmes se plaisent et s’entendent : une nouvelle relation épistolaire est née. Madame Geoffrin offre un tableau à Marie-Thérèse d’Autriche pour décorer ses appartements privés. L’impératrice offre à son amie un service à dessert, dont une partie est visible dans l’exposition.

Le service à dessert de madame Geoffrin : un cadeau prestigieux

Ce service à dessert, issu de la manufacture de Vienne, est d’un grand luxe. Cet ensemble, dont seulement une partie est exposée, est un service à dessert complet composé de 38 pièces : 24 assiettes, 2 corbeilles, 6 compotiers, 2 grands seaux, 2 petits seaux, 2 sucriers et un grand surtout en porcelaine de Vienne et en miroirs. Ce service viennois montre un style baroque rocaille typiquement germanique, probablement inspiré de la manufacture de Meissen, notamment avec l’usage des courbes et contre-courbes, mais aussi les motifs de rubans, de fleurs et les palmettes. Toutefois, une inspiration française se dégage lors de la lecture de la composition : la manière de souligner les formes avec le ruban bleu et de trancher le décor fleuri avec l’emploi de l’or sont issus de l’esthétique française. Les inspirations et les esthétiques traversent toute l’Europe. Cette dernière, fascinée par la porcelaine dure façon Chine depuis le Moyen-Âge, est devenue un grand laboratoire de recherche en porcelaine. La découverte de la technique de la porcelaine dure en 1710 par la manufacture de Meissen, en Saxe, lance une compétition entre manufactures et, par leur intermédiaire, entre puissances. De nombreuses esthétiques et des milliers de couleurs vont voyager à travers l’Europe. Le raffinement de la porcelaine et l’usage généralisé du service à la française* qui nécessite beaucoup de plats différents vont permettre à la porcelaine d’expérimenter, de se distinguer et de s’imposer comme matériau de luxe et devenir un indispensable lors des cadeaux diplomatiques.

Coyright : Audrey Bonnin

Le cadeau que Marie-Thérèse d’Autriche fait à madame Geoffrin est d’un si grand luxe que cette dernière ne se sent pas digne d’un service aussi beau. Ce service démontre ici à la fois l’amitié de l’impératrice pour Madame Geoffrin, mais aussi le respect et la reconnaissance envers la réputation de madame Geoffrin.

Il est utile ici de préciser que le dessert est, à l’époque, le moment phare d’un repas, le moment où l’hôte se distingue. A ce moment du repas, on fait place nette sur la table : on change les nappes et les couverts. On marque le passage de la gloutonnerie à la gourmandise. Ainsi, selon l’auteur de l’Art de bien traiter en 1674, le dessert est « le couronnement de notre ouvrage, le « réveillon du repas », le moment où « les esprits se réveillent, où se disent les bons mots, et où se débitent les plus agréables nouvelles, c’est là que se font les meilleurs contes à rire, se forment les parties de visites, de jeux, et de promenades, et où comme on dit entre la poire et le fromage, on invente mille plaisanteries pour passer le temps, et entretenir une honnête société qui fait le charme de notre vie ». Le dessert est tout un art, et cet art est essentiellement visuel.

Imaginez le service de madame Geoffrin. Nous sommes au moment du dessert. La table est prête, elle est remplie et magnifique, pleine de couleurs. Imaginez que les corbeilles sont chargées de fruits frais.

Les compotiers sont garnis de confitures sèches ou de compote tiède. Ici, des fruits candis, des dragées, des pralines et des macarons*. Là, de la crème fouettée, des sorbets, des massepains*.

Dessins Audrey Bonnin

Dessins imaginant l’utilisation de la vaisselle de madame Geoffrin : corbeille remplie de fruits frais, compote tiède et pyramide de confitures sèches.

Fermez les yeux et imaginez le bruit des cuillères dans les assiettes, les dragées et les pralines qui craquent sous la dent, l’odeur des compotes tièdes, celle des poires pochées au vin, le bruit des conversations, les rires charmés qui raisonnent, le bruissement des crinolines. Le ventre bien rempli, les invités pouvaient ensuite entamer leur digestion en buvant un chocolat, dans la chaleur des conversations ou dans la douceur de son chez-soi.

Dessin imaginant l’utilisation d’une assiette à dessert de madame Geoffrin : poires pochées au vin et cannelle

Manger, mais aussi boire : les boissons chaudes au 18e siècle

Le 18e siècle est aussi le moment où nos boissons chaudes font leur apparition. Celle est la plus servie en France au 18e siècle est le chocolat chaud. Ramené du Mexique par les conquistadors espagnols au 16e siècle, le chocolat est introduit en France par Anne d’Autriche lors de son mariage avec Louis XIII en 1615. Sa préparation diffère de celle que nous connaissons aujourd’hui : le cacao se présente sous forme de pâte qu’il faut râper. Le cacao est alors délayé dans de l’eau chaude avec du sucre. Le tout est ensuite porté à ébullition, puis on le fait mousser grâce au moulinet, une pièce de bois que l’on frotte entre les mains. Le chocolat chaud est une boisson d’une grande gourmandise, que l’on peut prendre alors tout au long de la journée, mais aussi après un repas copieux. Toutefois, son coût important ne le fait guère sortir des hautes sphères. A Versailles, Louis XV se fait une joie de faire lui-même son chocolat chaud et de l’offrir à ses hôtes.

Le chocolat n’est pas la seule boisson chaude consommée. Le thé est aussi apprécié, mais davantage en Angleterre qu’en France. En Angleterre, le thé est un moment d’un grand raffinement, et sa consommation a modifié la prise des repas afin de lui faire une place en fin d’après-midi. Le thé est ainsi devenu la boisson nationale anglaise. Ainsi, en France, le thé est surtout bu à l’époque dans les Salons tenus par les partisans anglais, comme le prince de Conty que l’on peut voir en scène dans le tableau de Michel Barthelémy Ollivier peint en 1766, Le thé à l’anglaise servi dans le salon des Quatre-Glace au palais du Temple à Paris en mai 1764.

La prise des boissons peut ainsi montrer une prise de position politique. Ces boissons se sont également imposées comme boissons nationales par la possibilité d’en obtenir les ingrédients, notamment par la possession de colonies : la Compagnie anglaise des Indes rapporte le thé en Angleterre, tandis que le cacao est importé de Martinique.

Et le café dans tout ça ? Le café tient une place particulière. La cour de France connait le café à partir de 1669, lors du séjour de l’envoyé turc Soliman Aga Mustapha Raca. L’attrait de la nouveauté, pour l’exotisme et l’innovation comme marqueurs sociaux, permettent au café de se faire une place à la cour. Les habitudes sont bouleversées pour pouvoir prévoir un moment dans la journée afin de consommer le café. Toutefois, au 18e siècle, le café est considéré comme moins luxueux car il est introduit en France par les riches marchands qui l’ont ramené de Turquie. Il est intéressant de noter que l’on n’a pas seulement importé la boisson elle-même, mais aussi la manière de la consommer. En effet, en Turquie, le café était consommé dans des établissements publics dans lesquels on parle affaire, on joue, on fume en buvant une tasse de café. Les établissements de café se multiplient rapidement en France. En 1723, 324 cafés sont implantés à Paris, dont le Procope et le café de la veuve Laurent sont les plus célèbres.  L’installation de ces établissements a fait chuter le café comme produit de luxe dans les hautes sphères, mais sa consommation, et notamment par des ersatz comme la chicorée, lui ont permis de s’installer dans tous les milieux sociaux, y compris les moins favorisés.

La consommation de ces trois boissons chaudes a permis de développer une vaisselle qui leur est bien spécifique : chocolatières, théières, cafetières, soucoupes, tasses… La porcelaine est privilégiée pour la conception des tasses car elle évite de se brûler les doigts et les lèvres en buvant. Une raison de plus pour l’Europe d’aimer la porcelaine !

Un goûter royal !

Vous aurais-je ouvert l’appétit ? Laissez-vous tenter par le chocolat chaud de Louis XV ! Pour cette recette, il vous faudra, pour deux tasses de chocolat chaud :

– des carrés de chocolat noir type pâtissier ou amer (minimum 10 pour une tasse d’eau)

– de l’eau

– 1 œuf

– de la cannelle (facultatif)

– du sucre vanillé (facultatif)

– du sucre (facultatif)

« Vous mettez autant de tablettes de chocolat que de tasses d’eau dans une cafetière et les faites bouillir à petit feu quelques bouillons ; lorsque vous êtes prêts à le servir, vous y mettez un jaune d’œuf pour quatre tasses et le remuez avec le bâton sur un petit feu sans bouillir. Si on le fait la veille pour le lendemain, il est meilleur, ceux qui en prennent tous les jours laissent un levain pour celui qu’ils font le lendemain ; l’on peut à la place d’un jaune d’œuf y mettre le blanc fouetté après avoir ôté la première mousse, vous le délayez dans un peu de chocolat de celui qui est dans la cafetière et le mettez dans la cafetière et finissez comme avec le jaune. »

Source : Les Soupers de la Cour ou l’Art de travailler toutes sortes d’aliments pour servir les meilleures tables suivant les quatre saisons, par Menon, 1755 (BnF, V.26995, tome IV, p. 331).

Dessin illustrant la manière de faire mousser le chocolat chaud avec le moulinet. Si la forme a été empruntée à des chocolatières existantes, celle qui est illustrée est imaginaire et n’est pas présente dans l’exposition.

Retour d’expérience : un goûter virtuel dans l’exposition temporaire

A l’occasion de la Journée mondiale des mobilités et de l’accessibilité au musée qui s’est tenue le 30 avril dernier, le service de médiation a proposé aux visiteurs un goûter virtuel. Alors en confinement, l’objectif était de partager, le temps d’une visite, un moment à la fois culturel, sensoriel et gourmand. En effet, les médiateurs culturels du musée ont à cœur de transmettre leurs connaissances, mais également de stimuler les sens et l’imaginaire des visiteurs. Maintenant que l’exposition a ouvert ses portes, les médiateurs peuvent proposer aux visiteurs des visites sensorielles grâce aux parfums que la parfumeuse professionnelle Caroline Caron a réalisés pour nous. Et parmi eux, le parfum du chocolat de Louis XV ! Associé à la chocolatière en résine réalisée par César Dumont et la vaisselle de madame Geoffrin, nous avons de quoi faire voyager l’imaginaire… et la gourmandise !

GLOSSAIRE :

Salonnière : femme qui tient un Salon au 18e siècle.

Service à la française : une manière de servir les convives pendant un repas où tous les plats sont apportés en même temps. Il se compose de 5 services : les entrées, les potages, les rôts, les entremets et le dessert. Chacun de ces services est lui-même composé de différents plats. Le service à la française nécessite donc beaucoup de vaisselle et beaucoup de serviteurs.

Macarons : les macarons dont il est question ici sont ceux qui sont essentiellement à base d’amande et en une seule partie, comme les macarons de Montmorillon ou les macarons d’Amiens.

Massepains : le massepain est une pâte réalisée à partir d’amandes qui ont été finement moulues puis mélangées avec du sucre et du blanc d’œuf. La pâte finale comporte dans la plupart des recettes deux tiers d’amande et  un tiers de mélange œuf-sucre.

Sources :

Livret d’accompagnement de l’exposition Thé, café ou chocolat ? L’essor des boissons exotiques au XVIIIe siècle , 2015, musée Cognacq-Jay

DESMET-GREGOIRE Hélène, L’introduction du café en France au XVIIe siècle, revues-plurielles.org, n°10 printemps 1994

PEETERS Alice, Boire le chocolat, Terrain, octobre 1989

https://histoire-image.org/fr/etudes/anglaise

LOUSSOUARN Sophie, La cérémonie du thé dans la peinture anglaise du dix-huitième siècle, Revue Française de la Civilisation britannique, 2006

FLANDRIN Jean-Louis, Le sucré dans les livres de cuisine français, du XIVe au XVIIIe siècles, Journal d’agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, 35e année, 1988

MICHEL Dominique, Le dessert au XVIIe siècle, Presses universitaires de France, 2002