Une affaire de poisons
Scandale à la Cour de Louis XIV, par Héloïse
L’Histoire des poisons est aussi ancienne que celle de l’humanité. Des premières flèches enduites pour la chasse, à l’élimination politique, l’Homme utilise le poison depuis des temps immémoriaux, partout à travers le monde.
Poison vient du mot latin potionem qui désignait à l’origine un breuvage ayant des effets aussi bien positifs que négatifs. En effet, les poisons peuvent également être utilisés pour leurs propriétés pharmacologiques ce qui explique leur présence, en vente libre, dans les pharmacopoles antiques. Il faudra attendre le 17e siècle, pour qu’une réglementation autour de la vente et de l’utilisation des poisons voit le jour.
Nous sommes en 1679, Louis XIV a 41 ans, il est à l’apogée de son règne et dirige seul, depuis la mort de Mazarin, 20 ans plus tôt. C’est le Grand Siècle, celui d’une France puissante qui marque l’Europe grâce à son expansion militaire et son influence, mais aussi à travers ses productions artistiques et littéraires. En un surprenant contraste, cette année 1679 voit surgir l’une des plus sombres affaires criminelles de tous les temps : c’est l’affaire des poisons. Cette affaire touche toutes les strates de la société et remonte jusqu’au roi !
L’affaire de la Marquise de Brinvilliers
Il existe un prologue à cette affaire : celle de la Marquise de Brinvilliers, une femme à la réputation assise, influente et qui appartenait à l’élite de la société. C’est de manière fortuite que l’on découvre qu’elle est impliquée dans ces sombres affaires de poison. En effet, le 31 juillet 1672, Jean-Baptiste Godin de Sainte-Croix est retrouvé mort à son domicile. Il s’agit d’une mort naturelle, mais diverses fioles et une cassette sont retrouvées lors de l’inventaire après décès. Cette cassette contient neuf lettres de sa maîtresse, la marquise de Brinvilliers, au contenu plus que sulfureux : elle y affirme avoir empoisonné, à doses répétées d’arsenic et de bave de crapaud, son père et ses deux frères pour faire sienne leur part d’héritage. La cassette renferme également une reconnaissance de dette de Godin de Sainte-Croix envers Louis Reich de Pennautier, grand argentier de l’Église de France, et ami de Colbert. Le contenu des fioles est analysé par un apothicaire, il s’agit de poisons virulents laissant peu de traces dans l’organisme. Cette nouvelle frappe fortement l’opinion publique en raison du rôle social de la Marquise !
La marquise de Brinvilliers, citée à comparaître devant la justice le 22 août 1672, s’enfuie à Londres avant de trouver refuge à Valenciennes, puis en Hollande, et enfin à Liège dans un couvent. L’affaire est suivie de très près du plus haut sommet de l’État, les personnages cités étant des personnalités importantes. Louvois, ministre de la Guerre de Louis XIV, ne tarde pas à attribuer à son lieutenant général de police, Nicolas de La Reynie, les pleins pouvoirs pour mener l’enquête. En effet, Louvois souhaite que le lien soit fait entre la fugitive et Pennautier, afin d’impliquer son grand rival Colbert, principal ministre du Roi Soleil.
La fugitive est condamnée à mort en 1673 et arrêtée le 25 mars 1676 grâce à la ruse d’un agent de police déguisé en prêtre. Son procès devant le Parlement de Paris débute le 29 avril 1676. Durant celui-ci, la marquise de Brinvilliers ne cessera de clamer l’innocence de Louis Reich de Pennautier. Faute de preuves ce haut personnage finira par être libéré. La marquise de Brinvilliers sera quant à elle décapitée à l’épée, puis brûlée sur un bûcher le 17 juillet 1676.
Un réseau d’empoisonneurs débusqué par la Chambre ardente…
L’affaire des poisons à proprement parler débute en 1679 quand un billet anonyme faisant allusion à un complot à l’encontre du Roi Soleil, avec utilisation de « poudre blanche » est découvert dans un confessionnal de l’abbaye des Jésuites de la rue St Antoine à Paris. La Reynie s’empare de l’enquête. Celle-ci s’oriente vers une détenue du Châtelet, accusée d’avoir empoisonné son mari. Elle reçoit régulièrement la visite d’une certaine Marie Bosse, qui n’est pas inconnue des enquêteurs, puisque celle-ci se vante d’empoisonner à l’instigation de femmes de l’aristocratie parisienne. Un piège lui est tendu, elle est confondue et emprisonnée. Soumise à la torture, elle fait de nombreuses révélations aux policiers et donne le nom de Catherine Deshayes, femme Monvoisin, dite la Voisin. Cette dernière était déjà soupçonnée de sorcellerie, elle est arrêtée le 12 mars 1679, ainsi que plusieurs de ses complices. Leur interrogatoire démontre rapidement que leurs pratiques dépassent le cadre divinatoire, et les enquêteurs se retrouvent face à un véritable réseau d’empoisonneurs dans la capitale.
Le 7 avril, Louis XIV, fortement encouragé par son lieutenant de police Nicolas de La Reynie, établit une cour d’exception spécialement chargée d’instruire et de juger cette affaire : La Chambre ardente. Il y a eu plusieurs Chambres ardentes dans l’Histoire qui ont été, à différentes époques en France, un tribunal extraordinaire pour juger les crimes concernant l’État. La Chambre ardente se réunit à l’Arsenal, près de la Bastille. Elle est dotée de ce nom car ses audiences se tiennent dans une pièce tendue de noir et éclairée par des flambeaux. Cette commission est composée d’une douzaine de magistrats de haut rang provenant du Parlement de Paris. Les audiences sont secrètes et très solennelles. La première Chambre ardente fut fondée en 1535, sous le règne de François Ier, comme tribunal chargé de poursuivre les protestants français.
Des arrestations en série !
Du 10 avril 1679 au 21 juillet 1682, la Chambre ardente auditionne 442 accusés et ordonne 367 arrestations, dont 218 sont maintenues. Les inculpés citent des noms de personnages importants, de grands personnages de la cour sont évoqués. Faute de preuves tangibles, la majorité des hauts personnages de la Cour sont innocentés. Aux plus compromis, le Roi conseille l’exil volontaire. La Voisin est brûlée vive le 22 février 1680 devant une foule hystérique !
Mais, l’exécution de la Voisin ne marque pas la fin de l’affaire, bien au contraire ! Sa fille, Marie-Marguerite Voisin, va trouver La Reynie pour lui parler de ce qu’elle sait, en faisant impliquer directement Madame de Montespan, favorite de Louis XIV et mère de sept de ses enfants. La Marquise aurait fait appel aux services de La Voisin afin d’obtenir des poudres aphrodisiaques destinées au Roi, commandité au moins trois messes noires en 1667, 1675 et 1676 au cours desquelles des nourrissons auraient été sacrifiés, et voulu empoisonner le Roi et sa nouvelle maîtresse Marie Angélique de Fontanges.
Dès les premiers bruits concernant la marquise de Montespan, le Roi réagit en interdisant aux magistrats d’utiliser des registres pour les interrogatoires et leur enjoint de recourir aux feuilles volantes. Ces documents sont rassemblés dans une cassette scellée et conservée par Louis XIV. Peu après, il demande à la Chambre ardente de ne plus s’occuper des affaires où le nom de Madame de Montespan apparaît.
Les juges de la Chambre ardente ne s’accommodent pas des prescriptions royales. Alors, Louis XIV décide de suspendre les travaux de la Chambre le 21 juillet 1682 et disperse, par lettres de cachet, les derniers accusés dans différentes prisons royales du pays. En tout, la Chambre ardente aura fait exécuter 34 personnes, envoyé 5 coupables aux galères et en aura condamné 23 autres au bannissement.
En juillet 1709, Louis XIV brûle lui-même l’entièreté des fiches accusatrices conservées dans sa cassette, refermant ainsi une affaire interminable partie des faubourgs parisiens et qui aura touché jusqu’à ses plus proches.
Le poison dans l’exposition Tables du pouvoir, une histoire des repas de prestige
La crainte du poison fut une constante chez les élites du Moyen Âge jusqu’au 17e siècle. Dans l’exposition Tables du pouvoir, une histoire des repas de prestige (qui sera présentée au Louvre-Lens jusqu’au 26 juillet 2021), vous découvrirez le rôle déterminant du poison dans l’élaboration des tables royales et princières. En effet, les repas, occasions de partage et de convivialité sont à haut risque et la hantise de l’empoissonnement a justifié l’isolement des princes dans ces moments pourtant privilégiés de la vie de cour. Les traités sur les poisons et les venins abondent dès la fin du 13e siècle, pourtant des objets composés de substances d’essence légendaire ou exotiques se multiplient.
Le languier par exemple est très en vogue chez les élites à la fin du Moyen Âge. Cette pièce d’orfèvrerie prend la forme d’un petit arbre d’argent doré posé au centre de la table. À ces branches étaient accrochées de petites pierres assimilées à des langues de serpent (qui étaient en fait des dents de requin fossilisées) et connues pour se mettre à transpirer au contact des poisons.
Au 13e siècle toujours, un nouveau contrepoison apparaît à la table des princes : le bézoard, qui viendrait d’un mot arabe signifiant « qui repousse la mort ». De formes, couleurs et tailles diverses, les bézoards sont en réalité un agrégat de matières organiques, formé dans l’estomac de certaines espèces animales. Comme en attestent les plus anciennes iconographies, le caillou était réputé pour aspirer le poison, et était donc posé sur les plaies des malades ou sur les corps des empoisonnés. Il était également conseillé de sucer la pierre si on avait ingéré du poison.
Dès le 17e siècle, ces objets furent relégués et rassemblés dans les « chambres des merveilles » des princes européens. La hantise de l’empoissonnement ne cessa pourtant que dans les années 1830, lorsqu’on apprit à détecter scientifiquement les traces d’arsenic.
Sources :
- Michèle Bimbenet-Privat, « Quand régnait la crainte du poison : cornes de licornes, languiers et bézoards« , catalogue de l’exposition Tables du pouvoir, une histoire des repas de prestige (14 avril – 26 juillet 2021), Louvre-Lens.
- Franck Collard, Le Crime de poison au Moyen Âge, Paris, PUF (« Le nœud gordien »), 2003.
- Jean Christian Petitfils, L’affaire des Poisons : Crimes et sorcellerie au temps du Roi-Soleil, Paris, Perrin, 2010.
- Affaire des poisons, Wikipédia, l’encyclopédie libre
Références de l’œuvre mise en exergue derrière le titre de l’article :
Le Festin, Bruxelles ( ?), 1520-1525, laine et soie, Paris, Musée des Arts décoratifs, © MAD, Paris Jean Tholance