Penser une performance
Gill et Clara, deux étudiantes, vous expliquent comment préparer, penser et réaliser une performance.
Chaque année, le Louvre-Lens donne carte blanche aux étudiants des établissements d’enseignement supérieur de la région Hauts-de-France, et présente leurs propositions artistiques, ludiques ou poétiques inspirées par l’exposition du moment.
Dans le cadre de cette édition du WELL21 entièrement numérique, les étudiants participants prennent les commandes de la page Mon Louvre-Lens afin de vous présenter leurs créations, imaginées en lien avec l’exposition Soleils noirs. Une série de 11 articles et tutoriels vous attend
Protocole de la performance Toilette non-conventionnelle
Description du cadrage et des actions filmées :
De profil, face à la caméra sur un plan moyen se présentent des bassines en zinc disposées sur le sol.
Ces bassines contiennent de l’eau savonneuse et une éponge de mer chacune.
Les deux personnes sont face aux objets et se tiennent debout et face à face.
Protocole :
- Les deux femmes s’avancent dans le cadre et sont recouvertes de poudre de charbon ; elles viennent se placer face à face en miroir devant les bassines
- Chacune entre dans une bassine
- Les deux femmes s’abaissent face à face et s’emparent d’une éponge chacune qui trempait préalablement dans la bassine
- La toilette à l’unisson et en miroir commence, délicatement et lentement dans un souci d’harmonie et de mimétisme
- Une fois que le visage de l’autre semble propre, il s’agit de passer au nettoyage du corps
- Le nettoyage passe en position debout
- La toilette s’accélère lors du passage au nettoyage du corps
- Les gestes doivent toujours se baser sur le mimétisme
- Lorsque le mimétisme est rompu par une erreur de geste :
- Une des deux femmes (préalablement décidé) vient s’emparer d’un nettoyeur haute pression et vient « finir le travail de nettoyage » sur l’autre
- Une fois que le nettoyage est fini
- L’autre, à son tour, réalise la même opération avec le même nettoyeur
- La performance se termine quand le deuxième nettoyage prend fin
- Celle qui utilise le nettoyeur haute-pression en dernier, le jette au sol
- Les deux femmes sortent du cadre
La performance, Toilette non-conventionnelle
Pour cette performance, nous avons souhaité travailler le sujet de la toilette sur deux corps féminins, salis par le charbon. Le protocole est la première étape de la création de cette performance, ayant pour objectif, l’exécution d’une toilette surprenante. Celle-ci est vouée à casser le mythe d’un moment gracieux et délicat, puisque le changement de rythme s’opère lorsque les corps passent d’une toilette à l’éponge synchronisée et lente, à une toilette violente de type « nettoyage haute pression ». Ces corps recouverts de charbon font écho aux photographies des « gueules noires », portraits de mineurs, souillés par le charbon, que l’on retrouve dans l’exposition Soleils Noirs.
Créer une œuvre visant à être performée, permet de produire un travail significatif sur le corps.
Cette action exécutée en duo mimétique confronte des objets anciens, voir oubliés, et d’autres plus récents, comme des bassines en zinc, de vraies éponges de mer et un nettoyeur haute pression. Ces objets et la couleur noire du charbon, témoignent d’une volonté d’évoquer le passé minier des Hauts-de-France appelé « Pays noir », région chère aux deux artistes. Le nettoyeur haute pression, lui, joue le rôle de « rappel à la réalité », celle de deux jeunes femmes du 21ème siècle qui exécutent une action orchestrée, inspirée d’un quotidien qui n’a jamais été le leur. Le cadre ainsi que les courbes de ces corps féminins, évoquent et symbolisent le paysage de la région et les terrils.
Une performance en évolution
Au vu de la situation actuelle, le projet est en constante évolution. C’est également ce qui est pertinent dans cette proposition : son adaptation. Le protocole est libre d’usage et peut être activé par qui le veut. C’est aussi un souhait que nous avions : l’accessibilité. Le projet est pensé en lien avec le territoire dans lequel il prend racine. Il s’ancre également dans cette période de pandémie.
Comment penser l’art en 2021 ? Comment faire évoluer l’œuvre d’art ?
Pour des questions de précautions et des raisons techniques, la réalisation de ce projet a été difficile. Pensé comme un projet évolutif, car il se devait de l’être (quant aux circonstances actuelles), il permet également une liberté dans sa réalisation.
La performance protocolaire entre en résonance avec Tas de charbon, sculpture sans forme spécifique de Bernar Venet dans l’exposition Soleils Noirs. Notre projet de performance avec protocole se rapproche de la démarche protocolaire que Bernar Venet a mis en place pour son œuvre Recouvrement de la surface d’un tableau (1963). Le protocole stipule « Le collectionneur achète une toile vide, de la dimension qui lui convient. Cette toile est ensuite divisée en rectangles d’une taille fixe à 30 cm x 30 cm. Il indique à l’artiste la couleur de son choix, et chaque mois un rectangle sera peint de cette même couleur, jusqu’à ce que la toile soit complètement recouverte. Un mois après que le tableau soit terminé, il doit être détruit. »
La performance n’est pas le médium artistique le plus simple à comprendre et aborder, cependant Chantal Pontbriand, commissaire et critique d’art, définit en 1979 la performance comme « situationnelle et qui prend son essor dans un lieu et dans un temps précis. » Le lieu peut se caractériser par l’espace muséal ou la galerie d’art, mais tout lieu qui peut accueillir du public est concerné. À cela, s’ajoute la place du spectateur(trice) qui n’est plus uniquement regardeur(se) mais aussi acteur(trice) de la scène qui se déroule sous ses yeux. Lorsque la performance est réalisée face à un public, elle peut aussi posséder une trace documentaire par la présence de photographies, vidéos, protocoles ou écrits la relatant. Le protocole est inspiré de ceux nécessaires en science ou dans la recherche. Il peut être envisagé comme un ensemble de règles que donnent un ou plusieurs artistes pour réaliser leur(s) œuvre(s). Il peut aussi être perçu comme une « feuille de route » ou une « recette » à suivre.
C’est dans les années 1960, avec les artistes de l’art conceptuel, qu’apparaissent des œuvres « objectives », où la main de l’artiste tend à disparaître. En inventant des protocoles précis et stricts, les artistes n’ont plus qu’à les suivre pour créer.
Quelques mots sur la pratique artistique de Clara
Mes préoccupations artistiques résultent d’observations de ce qui m’entoure au quotidien ; que ce soient mes origines ou le territoire dans lequel je vis, tout est prétexte à la création plastique. Je considère que l’expression artistique la plus honnête provient de ma propre histoire aussi récente soit-elle. C’est là que je trouve la plupart de mes sources d’inspiration et c’est consciemment ce qui m’a rendue sensible à l’art.
Ainsi, j’exprime de façon actuelle ma vision d’un passé proche s’étouffant derrière de nouvelles préoccupations sociales.
Ma pratique artistique se présente principalement sous la forme de photographies et de performances exposées sous forme d’installations. Chacun de mes travaux symbolise la vision actuelle que j’ai d’un territoire ayant connu un passé rude. Cette région souvent englobée et bercée par de nombreux stéréotypes, représente pour moi une immense source d’inspiration et de récits imagés riches.
Quelques mots sur la pratique artistique de GILL
À travers la mise en scène d’un alter ego masculin/féminin, j’ai à cœur de revisiter les conventions sociales et les images qui nous habitent. Qualifiant la majeure partie de mes travaux de « performances photographiques », j’entame une réflexion sur le corps féminin. La critique des stéréotypes de genre me permet de questionner le jeu d’images permanent entre regard et corps.
Au travers de photographies et vidéos, l’alter ego permet une prise de liberté pour laisser libre court aux expérimentations corporelles. L’usage d’éléments artificiels récurrents, comme le maquillage, permet de transformer mon propre visage.
Images, représentations, clichés de soi : mes pièces sont marquées par l’empreinte féminine. L’empreinte sociale et familiale marque un élément important sur mes constructions identitaires et mon rapport à l’autre.
Le travail autour du stéréotype féminin est pensé comme quotidien, autant dans sa perception que dans sa mise en scène. Mes réflexions sont également alimentées par des préoccupations et valeurs féministes.
Plus récemment, mes réflexions ont été alimentées par des écrits sur le genre, la performance et la photographie.
Liens vers les réseaux sociaux des artistes :
https://www.instagram.com/6piedssouterre/
https://www.instagram.com/clara__carpentier/