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Paul Delaroche et la représentation de Napoléon Bonaparte

Astrid vous propose d’en savoir plus sur cette toile qui figure le Premier Consul franchissant les Alpes au col du Grand-Saint-Bernard en 1800.

Une version originale d’un épisode de la Seconde Campagne d’Italie (1799-1800)

Après son retour d’Égypte et le coup d’État de novembre 1799 qui le fait Premier Consul, le jeune Bonaparte emmène l’armée française contrer l’avancée des troupes autrichiennes dans le Nord de l’Italie. Le chemin le plus court est aussi le plus risqué : 40 000 soldats franchissent les Alpes au col du Grand-Saint-Bernard entre les 14 et 23 mai 1800 ! Cet épisode, célébré de son vivant, sera suivi des victoires de Montebello et Marengo, renforçant son autorité en France.

Napoléon est un mythe, une légende, mais aussi un homme, tout simplement. C’est ce que ce tableau aux dimensions monumentales semble vouloir nous rappeler, dans un format plus adapté aux récits épiques, mais concentré ici sur un seul homme sur fond de paysage montagneux enneigé. Cette figure mélancolique, coiffée d’un bicorne noir et enveloppée dans une redingote grise dans laquelle il glisse sa main droite, avance, juchée sur une simple mule. La toile de Paul Delaroche, réalisée en 1848, est surprenante de réalisme : il ne nous montre ni la bataille, ni la charge de cavaliers et de corps s’entrechoquant, ni le fracas des combats, ni le bruit des canons… Non, il choisit de nous représenter le moment précédent la bataille, insistant sur le passage difficile d’un col montagneux, et sur la solitude d’un homme.

Paul Delaroche (1797-1856)
Napoléon Bonaparte franchissant les Alpes au col du Grand-Saint-Bernard en 1800
1848
Huile sur toile
Paris, musée du Louvre
© RMN-GP (musée du Louvre) / Franck Raux

 

Différence entre la vision néo-classique de David et celle réaliste de Delaroche

Issu d’une famille aisée, Paul Delaroche est un peintre académique français connu pour être l’initiateur de l’anecdote historique, un genre documentaire doté d’une sensibilité dramatique qui connut un grand succès au 19e siècle. Signant et datant son œuvre en bas à gauche, il livre sa troisième illustration d’un épisode lié à l’Empereur, après Napoléon dans son cabinet (toilecoll. particulière, 1838) et Napoléon à Fontainebleau (Musée de l’Armée, Paris, 1840). On est loin de la version idéalisée du même épisode, réalisé en 1800 par le peintre néo-classique Jacques-Louis David (1748-1825) qui dépeint Bonaparte en costume de général, « calme sur un cheval fougueux » (Château de Malmaison).

Le langage de Delaroche reprend, lui, le récit d’Adolphe Thiers dans Histoire du Consulat et de l’Empire publié en 1845 : ainsi la présence du guide Pierre-Nicolas Dorsaz (1773-1843), récompensé de sa bravoure par Bonaparte qui lui offrit une maison à la fin du périple, ajoute une facette compatissante envers le peuple. L’artiste conserve les conditions climatiques très mauvaises du printemps 1800 et l’uniforme de colonel des chasseurs à cheval, réellement porté par Bonaparte, avec ce fameux chapeau noir qui immortalisera sa silhouette. Il reprend le geste de la main droite dans le vêtement, apparu dès 1801 dans le tableau Bonaparte à la Malmaison (Château de Malmaison) de Jean-Baptiste Isabey (1767-1855), et qui signifie, comme dans l’Antiquité, pondération, modération, clémence. Delaroche transforme dans un subtil anachronisme le jeune Premier Consul Bonaparte en Empereur Napoléon, montrant un visage légèrement plus plein et une coupe de cheveux courte (la coiffure longue est caractéristique du général de l’armée d’Italie).

Quand David gomme les particularités physiques de Bonaparte et idéalise ses traits en prenant pour modèle la statuaire gréco-romaine, aboutissant ainsi à une quasi-divinité, Delaroche cherche à signifier par son expression fiévreuse et son corps arqué un tempérament inquiet, les diverses pensées qui agitent le Premier Consul, les stratégies militaires qu’il échafaude, mais aussi tout le poids du destin qui lui reste à accomplir… Nous sommes happés par ce regard, au détriment du reste de la composition où paysages et autres personnages ne sont que des faire-valoir.

 

Telle une illustration des Bulletins de l’Armée, Delaroche élève une imagerie populaire au rang de peinture d’histoire !

Nous assistons à deux conceptions totalement différentes de l’illustration d’un même événement, témoignage de l’évolution du mythe de l’Empereur, qui mène à l’abandon du langage allégorique hérité du 18e siècle, au profit d’une représentation directe des faits. Plus on avance dans le siècle et plus la tendance visant à héroïser les actions de l’empereur se renverse vers une aspiration à un récit plus populaire, aux détails attachants. En choisissant ce sujet, Delaroche répond pleinement aux aspirations de son temps, en participant à la célébration de la légende napoléonienne encouragée par le gouvernement de Louis Philippe (1830-1848). Celle-ci continue d’être alimentée tout au long du 19e siècle par les nombreux récits de grognards* rescapés, les gravures colportées dans toute la France, l’immense succès du Mémorial de Sainte-Hélène publié en 1823, et le retour des Cendres le 15 décembre 1840 aux Invalides.

La plupart des acheteurs de Delaroche furent anglais (cette œuvre passa dans sept collections anglo-saxonnes avant d’être offerte au musée du Louvre en 1982). Il y eut en effet un véritable engouement pour tout ce qui touchait à L’Empire, dès le moment où celui-ci s’effondra ! L’artiste multiplia les versions de son œuvre, peintes (cinq autres versions) et gravées, et sa composition fut largement reproduite, même si elle eut moins de succès que celle de David…

 

* Grognard : Nom donné aux soldats de la Vieille Garde de Napoléon Bonaparte.