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Pas d’écriture, pas d’Histoire

Partons sur les traces de l’invention de l’écriture. Laurence vous propose un voyage dans le temps, vers 3500 av. J.C. !

Les œuvres de la Galerie du Temps nous sont toutes prêtées par le Louvre parisien. Aussi, le temps de cette galerie est calqué sur ses collections, et notre espace d’exposition inaugure sa muséographie vers 3500 av. J.C. Cette date n’a pas été choisie au hasard : c’est l’époque où commence l’Histoire, avec, comme critère de datation, l’invention de l’écriture ! Notre réflexion nous conduisant dans les anciennes civilisations (Mésopotamie, Égypte Ancienne, Cyclades), n’hésitez pas à consulter cette petite carte bien utile.

L’Histoire commence à Sumer…

En 1956, l’assyriologue américain Samuel Noah Kramer (1897-1990) publie From the Tablets of Sumer, traduit dès l’année suivante par l’assyriologue français, Jean Bottéro (1914-2007), sous le titre L’Histoire commence à Sumer. Cet ouvrage connut un formidable succès, car en traduisant de très nombreuses tablettes cunéiformes mises au jour dans le pays de Sumer, l’auteur révélait l’histoire de l’une des plus anciennes civilisations. Or, l’écriture sumérienne était la plus ancienne connue au monde.

Cette écriture mésopotamienne est connue sous le nom d’écriture cunéiforme, c’est-à-dire constituée de signes incrustés dans des tablettes d’argile crue, avec un calame en biseau, permettant de réaliser des signes en forme de clous et de coins (d’où cunéiforme). Mais cette forme d’écriture est le résultat d’un long processus. Dans un premier temps, vers 3400-3300 av. J.C., elle apparaît sous une forme appelée bulle-enveloppe (environ 1,5 cm de diamètre) où des jetons appelés calculi sont glissés à l’intérieur. Billes, cônes, disque, tous avaient une valeur numérale. Réalisée en argile, elle était estampillée d’un sceau et accompagnait un échange commercial. L’enveloppe scellée était brisée en cas de contestation : il s’agissait donc d’un contrat.

Suse, Iran actuel – Bulle-enveloppe et son contenu de jetons (calculi) – Vers 3400-3100 avant J.-C. – Argile légèrement cuite – © RMN-GP (musée du Louvre) / Gérard Blot

 

Très vite, le support évolue vers la tablette d’argile et l’écriture devient idéographique (1 signe pour un sens, chose ou idée). On y mentionne des rations journalières d’ouvriers en céréales ou en bière, associées à des quantités dont les valeurs numérales reprennent la forme des calculi. Puis vers 3000 av. J.C, cette écriture mute vers le cunéiforme : le vocabulaire s’enrichit et le support argileux incite aux combinaisons de clous et coins (on écrit plus de choses bien plus vite).

La première intention de l’invention de l’écriture est donc comptable, qu’il s’agisse de preuve ou d’archive.

 

… et en Égypte, exactement au même moment

Dans les années 1980, un archéologue allemand, Günter Dreyer (1943-2019) reprend les fouilles d’Abydos, la cité égyptienne berceau de la royauté pharaonique. Dans la nécropole prédynastique, un valeureux ancêtre du premier roi de la première dynastie, le roi Scorpion, repose dans une grande tombe architecturée datée de 3400-3300 av. J.C. On y découvre les premières traces d’écriture hiéroglyphique inscrites sur des étiquettes de jarres d’environ 1 cm2. Sur de petits carrés d’os ou d’ivoire, des signes désignant un lieu de provenance sont associé ou non à une étiquette de quantités. D’une manière plus générale, ces signes sont directement gravés sur les jarres de transport : on parle des potmarks Ces signes sont déjà identifiables car la plupart continuent d’apparaître dans l’écriture hiéroglyphique classique.

Vers 3050 av. J.C. cette écriture se développe : inscrite sur des tablettes d’ivoire, les rois font valoir leur hauts faits de règne. Ces étiquettes d’année sont des archives politiques.

 

Qui a copié sur l’autre ?

Il est donc aujourd’hui acquis que l’écriture a été inventée dans les deux premières grandes civilisations, mésopotamienne et égyptienne, à la même époque, sous la même forme idéographique et avec la même intention, conserver les traces commerciales d’échanges. C’est le contexte historique qui nous éclaire sur cette concomitance : l’urbanisation, qui apparaît au même moment, autant à Sumer qu’en Égypte. Au néolithique, l’organisation humaine est celle du clan, le chef de clan tirant sa légitimité de l’Ancêtre. Lorsque l’organisation urbaine apparaît, le dirigeant a autorité sur plusieurs clans : il tire sa légitimité de son bon entregent* avec les dieux protecteurs de la cité, de son talent militaire, mais également de sa capacité à faire régner la paix sociale au sein du groupe : en cas de conflit entre habitants ou institutions se disant lésés, comment instaurer la justice sans preuve comptable ?! L’écriture devient un outil indispensable à l’administration d’une communauté. Très rapidement, elle devient également l’outil de la légitimité royale qui fait valoir son efficience.

 

Pas d’histoire dans les Cyclades avant le milieu du 2e millénaire av. J.C. ?

Figurine taillée dans une plaque mince au nez en relief et aux bras et aux jambes marquées

Syros (île des Cyclades), Grèce – Idole féminine nue aux bras croisés : divinité (?) Vers 2700-2300 avant J.-C. – Marbre – © RMN-GP (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski

 

Dans la Galerie du temps, sur la même ligne chronologique des écritures égyptiennes et mésopotamienne, une statuette de pierre tout à fait sublime est exposée. Le cartel nous indique qu’elle provient  de l’île de Syros, dans les Cyclades de la mer Égée et qu’elle date de 2700 av. J.C. Or, dans le monde grec, l’écriture apparaît vers 1500 av. J.C. à l’époque minoenne sous la forme hiéroglyphique du linéaire A, non déchiffré, qui évolue à la période mycénienne vers 1375 av. J.C. en linéaire B. Notre « Dame de Syros » a été produite environ 2000 ans avant l’apparition de l’écriture. La civilisation qui a produit cette statuette, dont la pureté et la simplicité est d’une telle contemporanéité qu’elle a su séduire Modigliani et Picasso, n’a-t-elle donc pas d’histoire ?

Bien sûr que si ! Seulement l’historien, celui qui écrit l’histoire, ne peut pas partir des faits puisqu’il lui revient de les reconstruire. Et il les reconstruit à partir du contexte archéologique (mise au jour d’artefacts éclairant les us et coutumes, datés relativement aux couches archéologiques, que l’on croise avec les textes produits par cette civilisation qui s’exprime sur elle même).

En l’occurrence, le contexte archéologique est bien embêtant : des modèles de trois tailles différentes, des modèles hommes à côté des figures féminines, issus de contextes funéraires et domestiques ! Autant dire que sans texte, savoir si cette statuette renvoie au concept de la fertilité ou de celle de l’ancêtre relève de l’impossible.

La société de Syros a certainement une histoire, le problème c’est qu’elle n’a pas d’historien, et elle n’a pas d’historien parce qu’elle n’a pas écrit.

En revanche, notre « Dame de Syros » n’a certes pas d’historien mais elle a gagné une poétesse. C’est d’ailleurs à elle qu’elle doit cette magnifique appellation de « Dame de Syros ». Vénus Khouri-Ghata lui donne une personnalité, Kia, et relate un très bel échange avec celui qui l’a sorti de terre.

 

*entregent : Adresse à se conduire, à se faire valoir en société, à jouer de ses relations.

 

Indications bibliographiques :

 

Et souvenez-vous, Marion vous apprends à compter comme les Mésopotamiens !