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L’envers du décor, épisode 2 : la scénographie d’exposition

Héloïse interroge Mathis Boucher, architecte scénographe au musée du Louvre-Lens.

Parlons aujourd'hui de scénographie. Y pensez-vous lorsque vous visitez une exposition?

Je vous invite aujourd’hui à découvrir le métier de scénographe avec Mathis, ou comment donner corps à un projet d’exposition. Bonne lecture et bonne découverte, ou redécouverte !

 

© Photo : musée du Louvre-Lens

 

  • Peux-tu définir le métier de scénographe ?

Le scénographe est en charge de la mise en espace de l’exposition. Il transcrit le propos scientifique de l’exposition en un parcours de visite. En mettant en scène les œuvres, il crée un univers, une balade immersive à destination des visiteurs.

  • Quel est ton parcours académique et professionnel ?

Après un baccalauréat scientifique option arts-plastiques, j’ai étudié l’architecture à la Faculté d’architecture, d’ingénierie architecturale et d’urbanisme de l’UCLouvain, à Tournai. J’ai ensuite effectué un Service Volontaire Européen d’un an, en République Tchèque, durant lequel j’ai occupé les postes de médiathécaire et community manager au sein d’une Alliance Française. En 2016, j’ai assisté les architectes Michel Antonpietri et Clio Karageorghis dans la mise en œuvre de l’exposition Le mystère Le Nain au Louvre-Lens. C’est ainsi que mon aventure au musée du Louvre-Lens a débutée.

  • Tu es donc architecte ? Est-ce le cas de tous les scénographes ?

Je suis architecte mais ce n’est pas le cas de tous les scénographes. Cette spécialisation n’est pas réservée aux architectes. On peut être scénographe et/ou architecte, il n’existe pas de parcours type.

  • La scénographie est-elle spécifique au monde muséal ?

Non, on retrouve cette discipline dans le spectacle vivant, sur les plateaux de télévision, au cinéma etc. Le champ d’action du scénographe varie en fonction du lieu et de la nature de l’aménagement souhaité.

  • Dans un musée, en quoi consiste le métier de scénographe ?

Le métier de scénographe revêt de nombreux aspects.

Le scénographe doit dans un premier temps comprendre le propos de l’exposition, analyser l’espace et ses contraintes et appréhender les collections à présenter. De cela découle le parcours de visite, matérialisé sous la forme d’un plan détaillant les espaces, le mobilier, les dispositifs de présentation et d’accrochage ainsi que les ambiances. Vient ensuite le choix des entreprises qui assurent l’exécution de ce plan et dont le scénographe assurera la supervision.

Tout au long de ces différentes étapes, le scénographe allie les demandes des commissaires d’exposition aux exigences relatives à la conservation préventive des œuvres ainsi qu’aux contraintes techniques.

De sa conception à sa réalisation, le scénographe assure la coordination du projet scénographique de l’exposition. Il en est le chef d’orchestre.

  • Quelle est la temporalité d’un projet scénographique ?

Un projet scénographique est un travail à long terme. En effet, il se passe entre un an et un an et demi entre la réception du scénario d’exposition* et le vernissage.

  • Quelles en sont les grandes étapes?

Comme je l’ai évoqué précédemment, trois grandes étapes se dessinent lors de la réalisation d’un projet scénographique :

  • L’analyse qui comprend de nombreux échanges entre le scénographe et le commissariat d’exposition* qui est à l’origine du projet d’exposition.
  • La conception qui comprend la réalisation de plans : esquisse, avant-projet sommaire, avant-projet détaillé puis projet définitif.
  • L’étude et le suivi des fabrications qui comprend le marché d’aménagement, l’inspection des entreprises et l’exécution du projet : fabrication en atelier, chantier scénographique et chantier d’accrochage.

Je dois faire preuve d’une vigilance extrême à chacune de ces étapes afin de ne passer à côté de rien. Étant employé par le musée du Louvre-Lens, j’ai la chance de pouvoir collaborer en direct avec les différentes équipes impliquées dans le projet d’exposition. Cela permet de travailler plus rapidement et plus efficacement.

  • Justement, avec quels corps de métiers travailles-tu le plus ?

Je travaille en premier lieu avec le commissariat d’exposition.

Tout au long de la mise en œuvre du projet scénographique, je collabore étroitement avec différents pôles du musée. En interne mes principaux interlocuteurs sont les équipes en charge de la régie, des éclairages muséographiques et de la technique. En externe je travaille avec les entreprises d’aménagement qui gèrent le gros œuvre du chantier d’exposition et s’occupent, entre autres, du cloisonnement des espaces et de la peinture.

  • Conçois-tu la scénographie de toutes les expositions temporaires qui ont lieu au musée du Louvre-Lens ?

Non, certains projets sont confiés à des scénographes externes. Lorsque c’est le cas je reste assez présent et accompagne les scénographes tout au long du projet, dans les échanges avec les équipes du musée notamment. Je supervise également les marchés et le déroulement des chantiers.

  • Qu’en est-il de la Galerie du Temps ?

La scénographie de la Galerie du Temps a été conçue par le Studio Adrien Gardère. Lorsque des changements ou des ajustements sont nécessaires, je fais des propositions en accord avec le projet initial, dans un souci de cohérence et d’harmonie. Je gère également le maquettage des cartels.

  • À quelles contraintes, liées à la conservation préventive* des œuvres, un projet scénographique est-il soumis ?

Il est essentiel que le projet scénographique, tant dans sa conception que dans sa mise en œuvre, respecte les normes de la conservation préventive. C’est là mon cœur de métier : au-delà de mettre en valeur les œuvres, il faut les présenter correctement afin d’en assurer la bonne conservation. Cela passe, entre autres, par le contrôle du climat (hygrométrie et température) et de la lumière. Une attention particulière doit également être portée aux matériaux et aux mobiliers utilisés dans l’exposition.

L’installation des œuvres ne se fait jamais avant que les corps de métier intervenant sur le chantier aient fini leur travail. Au moment de l’accrochage les salles doivent être propres, sans poussière et le climat doit être stable. De même, le démontage d’une exposition ne peut commencer qu’une fois les œuvres sorties des vitrines et mises à l’abri hors de la salle d’exposition.

Les exigences peuvent varier en fonction des prêteurs et nous travaillons finement avec chacun d’entre eux à ce sujet. Des protocoles sont mis en place et toute l’équipe du musée travaille ensemble, en amont, afin d’éviter les surprises de dernière minute.

Avant son ouverture chaque exposition fait l’objet d’une visite de la commission départementale de sécurité et d’accessibilité. Cette commission donne son avis notamment sur les risques incendie et l’accessibilité aux personnes en situation de handicap.

  • Les questions de sécurité et d’accessibilité sont donc liées ?

Oui. Pour des raisons de sécurité – des œuvres et des visiteurs – et d’accessibilité, les salles d’exposition doivent permettre une circulation fluide. La gestion du flux et sa prise en compte dans le projet scénographique relève également du confort de visite.

Je conçois toujours des entrées d’expositions assez vastes car on constate que les visiteurs s’y regroupent souvent. Idem dans les premières salles où les textes sont encore beaucoup lus et où les visiteurs stationnent donc. Le flux se dilue souvent en milieu d’exposition, ce qui me permet de penser des pièces plus intimistes sans qu’elles se transforment pour autant en goulot d’étranglement.

De manière générale, les passages ne doivent pas mesurer moins d’un mètre quarante. Cette norme est largement respectée dans les expositions du musée du Louvre-Lens. La sortie de l’exposition Soleils noirs mesure par exemple un mètre soixante.

L’installation des œuvres est également une donnée à prendre en compte. En effet, les œuvres doivent passer sans encombre les différentes salles avant de rejoindre leur emplacement définitif. Là encore la sécurité des œuvres rejoint celle du public et du confort de visite.

  • Quels sont les autres points de vigilance concernant l’accessibilité et le confort de visite ?

Parce qu’elle s’adresse à tous les publics – en situation de handicap physique, sensoriel ou mental, francophones ou non, jeunes ou plus âgés, érudits ou néophytes- une exposition doit tendre vers une accessibilité qui soit la plus universelle possible. Cela passe par la structuration de l’espace, l’agencement du mobilier et la valorisation des collections mais aussi par les choix en termes d’éclairage, de signalétique et de graphisme.

Nous avons déjà abordé certains de ces points et j’aimerais maintenant m’arrêter sur les questions de signalétique et de graphisme. Dans l’exposition Soleils noirs, les cartels sont à un mètre trente-cinq de hauteur et nous tendons à en augmenter la taille afin d’en faciliter la lisibilité. Pour ce qui est des textes d’exposition, nous sommes très vigilants aux contrastes de couleurs ainsi qu’à leur longueur car ils doivent répondre au double objectif de clarté et d’apport de connaissances. C’est un équilibre à trouver.

La question des assises occupe également une place importante. Je visite beaucoup d’expositions et j’apprécie toujours d’en trouver dans un parcours de visite. En plus d’assurer un certain confort aux visiteurs, les assises invitent à la contemplation. C’est important la contemplation dans une exposition ! J’essaie donc d’en placer le plus possible même si ce n’est pas toujours évident pour des raisons de place.

  • En quoi la scénographie est-elle porteuse de sens ?

Le projet scénographique doit être en symbiose avec le propos scientifique, celui des commissaires. En effet, les visiteurs ne doivent pas se perdre entre lecture scénographique et lecture scientifique.

En plus de mettre en valeur les œuvres, la scénographie raconte une histoire, invite au voyage. Je fais toujours en sorte de marquer chaque section par une ambiance différente, cela permet de capter l’attention des visiteurs et de mobiliser leurs sens.

Dans l’exposition Soleils noirs on passe par exemple du noir au blanc. Les couleurs des différentes sections induisent un sentiment de gradation : plus les visiteurs se rapprochent du blanc, plus leur degré de connaissance sur la couleur noir est grand. Les couleurs choisies pour chaque section sont en lien avec les thématiques qui y sont abordées et leur apportent de la visibilité. Chaque couleur est pensée pour répondre à la fois à sa section et au concept général de l’exposition. L’enchaînement des couleurs est aussi réfléchi en fonction de la gamme chromatique et des choix faits en matière d’éclairage.

 

© Photo : musée du Louvre-Lens – Emmanuel Watteau

© Photo : musée du Louvre-Lens – Emmanuel Watteau

 

Dans l’exposition Pologne 1840-1918. Peindre l’âme d’une nation, les couleurs étaient tirées des tableaux et n’étaient pas inspirées du propos scientifique des sections. Chaque exposition est unique et je n’utilise pas les mêmes recettes à chaque fois.

  • Une exposition peut-elle s’apprécier dans tous les sens ?

Oui et non. Il est compliqué d’avoir plusieurs sens de lecture dans un parcours. Je tente toujours de ménager de grands axes de perspective qui peuvent s’apprécier de différents points de vue. Je suis sensible à cette question et je réfléchis à ce que les visiteurs aperçoivent en se retournant mais le propos de l’exposition prime et ne permet pas toujours cette double lecture.

  • Qu’as-tu le plus aimé travailler dans l’exposition Soleils noirs ?

J’ai aimé travailler les ambiances, plonger les visiteurs dans un univers. Comme dans chacun de mes projets scénographiques, j’ai soigné l’entrée de l’exposition afin de marquer le début d’un voyage.

  • Est-ce une exposition marquante pour toi ?

C’est la première exposition thématique que je réalise. La liste d’œuvres mêle ancien et contemporain, c’est une expérience unique que de faire dialoguer des œuvres d’époques et d’horizons si variés. Je pense notamment à l’œuvre de l’artiste britannique David Nash, Vaisseau et son contenu, qui fait face à une monumentale sculpture antique représentant la déesse Isis. C’est un mélange des genres très stimulant.

L’aventure Soleils noirs restera marquée par un contexte sanitaire difficile. La liste d’œuvres à beaucoup bougé, impactant fortement le projet scénographique initial. Mais nous avons su nous adapter et faire face, ensemble. C’est cela que je retiens et je suis heureux du résultat final.

  • Ton souvenir le plus marquant au musée du Louvre-Lens ?

Avoir travaillé la scénographie de l’exposition L’Empire des roses, chefs-d’œuvre de l’art Persan du 19ème siècle avec Christian Lacroix. C’est un personnage incroyable et sa proposition l’était tout autant ! C’était le deuxième projet scénographique sur lequel je travaillais pour le musée du Louvre-Lens et je retiens la confiance de la direction envers ses équipes.

© Photo : musée du Louvre-Lens Emmanuel Watteau

  • Quelles sont tes inspirations ?

C’est une question difficile. Je suis très curieux et tout peut m’inspirer : une architecture, un film, une œuvre, même une simple discussion !

 

Glossaire

* scénario d’exposition : Le scénario d’exposition explicite et développe le discours de l’exposition, séquence par séquence.

* conservation préventive : La notion de conservation préventive recouvre l’ensemble des actions qui visent à anticiper, prévenir et ralentir les dégradations sur les objets. L’objectif est d’agir, directement ou indirectement, sur les facteurs de dégradations auxquels ils sont soumis, tels que les aléas climatiques, la lumière ou les contaminants biologiques.

* commissaire d’exposition : Un commissaire d’exposition est un professionnel qui conçoit une exposition (artistique, historique, scientifique, etc.) et en organise la réalisation.

Je remercie Mathis pour cet échange passionnant et vous invite à venir découvrir son travail dans l’exposition Soleils noirs jusqu’au 25 janvier 2021, au musée du Louvre-Lens. En attendant de pouvoir vous rendre sur place, n’hésitez pas à participer à nos activités et visites en ligne. Renseignements et réservations ici : https://www.louvrelens.fr/