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Figurine féminine vêtue

Astrid vous propose de découvrir l’histoire d’une figurine en terre cuite de forme géométrique, au profil étrange…

Cette petite figurine n’a l’air de rien, elle paraît si fragile et discrète qu’on serait tenté de passer à côté sans s’arrêter… Et pourtant !

Elle ne mesure qu’une dizaine de centimètres de haut pour moins de cinq centimètres de large, aucune inscription n’est visible à sa surface, mais elle nous est pourtant très précieuse aujourd’hui pour nourrir notre connaissance de la civilisation dite mycénienne, qui a rayonné sur la Méditerranée entre 1550 et 1050 avant J.-C., depuis le sud du continent grec, notamment depuis la cité-forteresse éponyme de Mycènes dans le Péloponnèse. Cette très vieille dame nous témoigne des pratiques cultuelles, votives et ludiques de cette civilisation antique, et se révèle un marqueur de son rayonnement en dehors du continent grec au deuxième millénaire avant J.-C.

Péloponnèse, Grèce
Vers 1325 avant J.-C.
Figurine féminine vêtue
Terre cuite modelée, H. 11 ; L. 4,7 cm
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski
https://www.louvrelens.fr/work/figurine-feminine-vetue/

 

Commençons par l’observer : il s’agit d’une représentation anthropomorphe aux formes schématiques géométriques (les bras sont absents, les jambes forment un cylindre), sexualisée par deux petites protubérances sphériques symbolisant une poitrine ; le visage est étrangement modelé, l’argile pincée formant l’arête d’un nez ; enfin la figurine est couverte de traits ondulés de la base du cou jusqu’en bas, signe d’un vêtement. On peut déjà noter la combinaison de plusieurs pratiques artisanales au sein d’un même atelier : le travail du potier (forme cylindrique du bas du corps), du modelage à la main, de la peinture (détails marqués de traits brun-noir), ainsi que l’étape de la cuisson au four.

 

Une production en série, plusieurs fonctions possibles

Ce type de figurines standardisées en terre cuite a été découvert en si grand nombre dans le sud du Péloponnèse qu’on peut vraiment parler de production en série : elles constituent d’ailleurs l’essentiel de la statuaire grecque datée de la fin de l’âge du Bronze. On a pu les classer en trois séries distinctes d’attitudes évoquant la forme de lettres grecques : les figurines aux bras repliés sur le ventre, formant un corps en forme de disque comme celle exposée au Louvre-Lens, dites en « phi » (φ ou ϕ) ; celles aux bras levés, dites en « psi » (ψ) ; celles plus rares aux bras réduits à des moignons, dites en « tau » (τ). Elles peuvent être féminines, masculines ou zoomorphes, debout ou assises, monochromes ou polychromes, mais elles présentent toutes ce profil étrange évoquant un oiseau…

La question qui se pose est : à quoi servaient-elles ? Plusieurs explications sont avancées par les archéologues. La taille et l’aspect schématique des figurines, leur lieu de découverte (des habitations ou bien des tombes de nourrissons et de très jeunes enfants) ont d’abord fait penser à une fonction ludique : d’innocentes petites poupées d’argile. Une autre fonction possible serait d’ordre cultuelle, ces « poupées » incarneraient en fait des divinités protectrices de l’enfance, aidant l’enfant défunt à passer dans l’autre monde. Mais on a aussi lié ces objets à un usage votif, un autre lieu de découverte étant les abords de sites religieux : ces ex-votos auraient été vendus en masse en guise d’offrandes aux dieux, en l’occurrence pour les variantes féminines dans un rite de passage de la petite fille vers son statut de femme. Impossible de trancher, mais l’opinion dominante les situe dans le cadre d’usages populaires et domestiques.

 

Un témoignage de la civilisation mycénienne et de son rayonnement

Le réseau d’échanges à longue distance de la civilisation mycénienne, facilité par des comptoirs commerciaux installés jusqu’en Asie Mineure, a permis la circulation de ces produits, retrouvés dans des tombes en dehors du continent grec. N’étant clairement ni précieux ni exotiques, leur présence montrerait le rang élevé du défunt, et son rattachement à un réseau de relations « internationales ». Leur abstraction formelle et leur relative standardisation auraient permis d’incarner des significations diverses, et d’unifier la vaste communauté de consommateurs de produits mycéniens, aux identités culturelles diverses.

La civilisation mycénienne est encore mal connue du grand public. Pourtant, les premières fouilles datent du 19e siècle avec les découvertes de l’autodidacte Heinrich Schliemann sur les sites de Mycènes, Troie ou Tirynthe, et qui était inspiré par les récits homériques. Cette civilisation à l’architecture monumentale, caractérisée par l’usage de l’écriture dite « linéaire B » et une production de pièces d’orfèvrerie raffinées d’or et d’argent, s’est distinguée également par celle de figurines en terre cuite de forme géométrique, au profil étrange, que je souhaitais vous faire découvrir aujourd’hui. Ces dernières nous emmènent vers un quotidien tout aussi émouvant et encore mystérieux, fait de pratiques populaires, ludiques ou religieuses. Cette figurine, aussi fragile soit-elle, a survécu à plusieurs millénaires pour nous parler aujourd’hui ; elle est un bon exemple des rébus que sont ces petits objets archéologiques qui permettent d’éclairer des pratiques à la fois antiques et si intemporelles…

 

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