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Eye see you

Née de la collaboration entre deux jeunes artistes, dans une atmosphère à la fois hypnotique et oppressante, l’installation de Colleen et Audrey vous livre ses secrets.

Chaque année, le Louvre-Lens donne carte blanche aux étudiants des établissements d’enseignement supérieur de la région Hauts-de-France, et présente leurs propositions artistiques, ludiques ou poétiques inspirées par l’exposition du moment. 

Dans le cadre de cette édition du WELL21 entièrement numérique, les étudiants participants prennent les commandes de la page Mon Louvre-Lens afin de vous présenter leurs créations, imaginées en lien avec l’exposition Soleils noirs. Une série de 11 articles et tutoriels vous attend !

 

Eye see you, Colleen Baranger et Audrey Derail, 2020-2021, dimensions variables installation, tissu, fil fluorescent, polystyrène, épingles, papier, néon UV.

 

Colleen Baranger :

J’ai 22 ans et, après une licence d’arts plastiques à Rennes et un Erasmus à l’académie des Beaux-Arts de Milan, j’ai décidé de poursuivre ma scolarité en Master Production/Exposition des œuvres d’art contemporain à l’université de Lille.

Ma pratique artistique est basée sur la représentation et le détournement de la pornographie et de ses codes. En reprenant des images issues de ce milieu, je les intègre dans un contexte artistique contemporain.

Les matériaux et médiums que j’utilise sont variés et divers, du moulage à la photographie en passant par l’installation. Cependant, l’art textile et notamment la broderie sont des pratiques que j’utilise régulièrement dans mes travaux.

 

https://www.instagram.com/colleen_baranger/ (@colleen_baranger)

Dans l’œuvre proposée, Eye see you, l’élément principal est la lumière UV. Cette lumière particulière permet ici, de faire ressortir ces yeux brodés parmi la pénombre de la pièce. Ce projet a été réalisé dans le cadre du WELL21 en lien avec l’exposition Soleils Noirs.

Le noir comme couleur, et surtout comme symbole de l’obscurité, a été le point de départ. En brodant des yeux au fil fluorescent sur un tissu noir, je souhaitais opposer cette obscurité à la lumière. Les yeux symbolisent le regard perturbé par cette couleur.

 

Audrey Derail :

Je suis une étudiante de 23 ans, en deuxième année de Master d’arts plastiques à l’université de Lille.

Avec une hybridité entre l’installation et le dessin, ma pratique joue avec les codes de l’illustration mais considère la dimension objectale des représentations et travaille leur relation à l’espace. Avec l’utilisation de matériaux fragiles tels que le papier, mes pièces possèdent une dimension poétique et délicate. Ces productions installées sont majoritairement de petite taille et j’essaie, à travers elles, de développer une relation d’intimité avec le public.

https://www.instagram.com/audreyderail/ (@audreyderail

Pour cette installation, Eye see you, je me concentre sur la dimension sculpturale des objets (ici des têtes de mannequins) et sur le jeu de la lumière UV. Cette pièce a été créée spécialement en rapport avec la thématique de l’exposition Soleil Noir. En effet, j’ai voulu proposer une œuvre qui pose à la fois des questionnements sur une thématique actuelle et féministe mais aussi des questionnements formels et matériels plus intemporels relatifs à l’usage de la couleur noire et à sa relation à la lumière.

 

Questions-réponses avec les artistes :

Pourquoi avoir choisi de travailler avec la lumière noire?

Colleen : Car c’est le mélange de la lumière et de l’obscurité. C’est une lumière qui éclaire peu, mais qui, dans le noir, fait ressortir certaines couleurs.

Audrey : Je voulais travailler la question du regard la nuit, celui que l’on sent et qui nous épie. Je trouve que la lumière noire est un médium qui permet de se rapprocher de cette situation. Elle est d’autant plus adaptée qu’elle permet de faire ressortir certains éléments, ici les yeux, et de les rendre plus perçants, plus percutants. D’ailleurs, l’oxymore « soleil noir » est incarné indirectement par le néon : c’est une source de lumière UV (certes artificielle) qui éclaire même la nuit.

Que représente la couleur noire pour vous ?

Colleen : La couleur noire est, pour moi, la plus belle couleur, celle qui transmet tellement d’émotions. Elle peut être rassurante comme très inquiétante, d’où la peur du « noir ». C’est une couleur qu’on aime ou qu’on déteste et qui fait ressortir les autres couleurs, elle les porte et les sublime.

Audrey : La couleur noire, dans Eye see you, représente la nuit, et l’atmosphère pesante, voire anxiogène qui y règne. J’associe aussi cette couleur aux angoisses et aux peurs que nous pouvons tous·te·s ressentir, mais en particulier celles qu’une femme (ou qu’une personne ayant un passing de femme) peut ressentir quand elle est seule dans la rue.

Le motif des yeux revient dans les deux œuvres, quel sens y attachez-vous?

Colleen : C’est le symbole de la vision. La vision que l’on a, qu’on a peu ou pas du tout et qui s’atténue dans l’obscurité. Ici ces yeux sont dans le noir et pourtant ils sont visibles. On observe un jeu de regard. Ces yeux, les spectateurs les regardent, le regardeur est regardé. On retrouve cette même idée dans le travail de l’artiste performeuse, Deborah de Robertis.

Audrey : Je m’intéresse beaucoup à la question du regard depuis l’année dernière et plus précisément à la question du regard masculin sur le corps féminin, que j’avais d’ailleurs traitée dans mon mémoire de M1 par l’analyse d’une performance de Deborah de Robertis. J’ai voulu matérialiser cette problématique dans cette œuvre en proposant une installation qui rendrait son regard au public: comme l’explique Colleen, celui-ci est à la fois regardeur et regardé et s’installe alors une sorte de réciprocité du regard. Toutefois, ce que j’instaure ici avec les yeux est une accentuation d’un regard masculin factice, rendu plus visible et plus incisif grâce à la lumière noire.

Pourquoi avoir choisi de faire coexister vos œuvres ? Les deux œuvres dialoguent-elles ou s’agit-il simplement d’un rapprochement d’ordre esthétique et visuel ?

Colleen : Pour ma part, j’ai choisi de représenter les yeux de manière brodée, c’est-à-dire à plat. Tandis qu’Audrey fait exister ses yeux en volume. Les deux œuvres se complètent, elles peuvent exister seules comme ensemble. Assemblées, elles augmentent la dimension du regard porté sur le spectateur.

 

Audrey : Nos deux œuvres ont bien sûr de fortes similitudes visuelles : la représentation des yeux, la lumière noire. Pour des raisons techniques, il était pratique pour nous d’exposer dans le même espace. Mais, cela va plus loin. La répétition des motifs dans nos deux œuvres donne plus d’impact à l’ensemble que si chaque œuvre avait été exposée séparément. De plus, les deux œuvres se rappellent l’une l’autre : les épingles utilisées pour accrocher les yeux de papier sur mes mannequins rappellent l’univers textile de Colleen, de même pour l’effet velours des mannequins. Les yeux brodés par Colleen sont réalisés avec du fil fluo. Cela rappelle les yeux fluo de mes mannequins. Toutefois, il s’agit bien de deux œuvres distinctes, et elles peuvent exister indépendamment.

D’autre part, nous partageons des idées et des valeurs communes qui nous permettent de pouvoir exposer nos œuvres ensemble sans qu’elles ne se contredisent dans leur fond.