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Embarquement pour l’Empire moghol

Justine nous emmène à la découverte d’une culture lointaine grâce à un poignard d’apparat, visible en Galerie du temps.

Comment un simple objet, si discret, ce poignard installé dans une vitrine au bout de la Galerie du temps ; un objet qui n’a peut-être pas attiré votre attention si vous avez déjà visité le musée ; un objet bien moins impressionnant par ses dimensions que nos quatre babouins ou bien le portrait de Napoléon ; comment donc un si petit objet peut-il aujourd’hui nous permettre de quitter notre époque ?

Comme tous les objets de la Galerie du temps, ce poignard nous fait voyager dans le temps et dans l’espace ; et aujourd’hui nous partons découvrir l’Empire moghol.

© RMN-GP (musée du Louvre) / Raphaël Chipault

Inde
Poignard (“katar”) décoré de divinités hindoues : Vishnu, dieu protecteur, et Hanuman, guerrier-singe, dieu de la Sagesse
Vers 1600-1800
Alliage de fer, jade, argent, pierres précieuses

Les rois du monde

L’évocation de l’Empire moghol nous emmène en Inde, à une période qui fait figure d’âge d’or dans l’histoire de ce pays. Cet empire naît en 1526 après la victoire à Pānīpat sur le sultanat de Delhi. Avec cette victoire, Zahir ud-din Muhammad, connu sous le nom de Babur (qui signifie « le tigre ») jette les bases de la dynastie moghole musulmane, descendant de Tamerlan (1336-1405), grand conquérant d’une partie de l’Asie centrale et occidentale au 14e siècle.

À son apogée, à la fin du 17e siècle, l’Empire moghol s’étend sur presque tout le sous-continent indien. À la tête de cet empire, les Grands Moghols, nom donné aux six premiers grands souverains de la dynastie, ont marqué l’histoire de l’Inde mais aussi l’imaginaire européen. Ils développent les arts et la culture. Ainsi le fils et successeur de Babur, Humayun (règne 1530-1540 et 1555-1556), héritier d’un royaume encore instable, faisant face aux Afghans d’un côté et aux Rajpoutes hindous de l’autre, connaît une période de quinze années d’exil en Perse. De cet exil, il rapporte un art impérial, la littérature et le persan qui devient langue officielle. Cet enthousiasme pour la littérature lui coûtera la vie car il serait mort d’une chute dans l’escalier étroit de sa bibliothèque.

Son successeur Akbar (règne de 1556 à 1605) mène une politique maritale qui le rapproche des hindous – il épouse une princesse hindoue -, ouvrant une ère de tolérance religieuse. Il agrandit le royaume par une politique de conquêtes. Pour marquer sa victoire sur le Gujarat (ouest de l’Inde), il ordonne la fondation d’une nouvelle capitale, Fatehpur-Sikri dans laquelle se développe un nouveau style architectural mêlant les influences perses et hindoues. La ville sera abandonnée dès 1585. Il réforme l’administration pour plus de centralité. Akbar s’entoure d’intellectuels des différentes religions qui discutent de leurs dogmes : musulmans, hindous, jaïnistes et même des jésuites venus de Goa. Toujours dans le souci d’unifier le pays, Akbar est à l’origine d’une religion nouvelle, la Dîn-i-Ilâhî centrée sur la figure du roi, pour laquelle il emprunte à l’islam et au jaïnisme. Mais cette religion ne lui survit pas.

Ainsi le règne des Grands Moghols traverse tout le 17e siècle. Le règne de Shah Jahan (« le Roi du monde », règne de 1628 à 1658) est une période d’épanouissement de l’architecture moghole. Il laisse dans sa capitale, Delhi, un riche patrimoine bâti avec la forteresse impériale, appelée Fort rouge, du fait de son architecture de grès rouge, et la mosquée Jama Masjid, l’une des plus grandes d’Inde, mais aussi les Jardins de Shalimar à Lahore (Pakistan actuel). Surtout, Shah Jahan est le commanditaire du célèbre Taj Mahal, mausolée bâti en l’honneur de son épouse Mumtaz Mahal.

Le dernier des Grands Moghols, Aurangzeb (règne de 1658 à 1707), troisième dans l’ordre de succession, s’empare du trône au terme d’une lutte fratricide et à la suite de l’emprisonnement de son père Shah Jahan, malade. Son règne est marqué par un rigorisme religieux, il interdit l’hindouisme et fait détruire les temples. Sa politique expansionniste amène l’empire à son apogée territoriale en arrivant jusqu’à la province de Pondichéry en 1687. Pourtant les guerres multiples vont peu à peu vider les caisses de l’État et marquer un tournant dans l’aura de l’Empire moghol.

Si le règne des Moghols ne se termine pas en 1707, il connaît à partir de cette date une longue période d’instabilité et de lent déclin. Ce morcellement profite à l’avancée de la colonisation anglaise. L’Empire moghol disparaît définitivement en 1856 en représailles de la révolte des Cipayes (soldats indiens au service de l’armée occidentale) face aux colonisateurs britanniques.

Une arme de cérémonie

Ce poignard typique, appelé “katar”, est originaire du sud de l’Inde et était très répandu dans l’Empire moghol. Remarquez sa forme bien particulière : une lame droite et courte, une poignée composée de deux bras également courts et droits, reliés entre eux par deux éléments transversaux permettant la prise en main du poignard. Cette arme était utilisée pour le corps à corps. La poignée et la lame courtes permettent de l’utiliser avec tout le poids du corps et de transpercer ainsi les cottes de maille. Le poignard que nous avons sous les yeux n’a certainement jamais connu les champs de bataille ! Il s’agit d’un objet d’apparat, un objet fait pour montrer la richesse ou le pouvoir de son propriétaire, comme peuvent le laisser deviner les décors soignés de la lame et de la poignée, et le matériau utilisé pour cette dernière : le jade.

Ce jade vert clair présente de fines sculptures de rinceaux (ornements en forme d’arabesques végétales) en faible relief. Au-dessus des barres transversales, deux éléments métalliques décorés de pierres précieuses viennent agrémenter la poignée. L’utilisation du jade est héritée de l’art timouride, art développé dans l’empire de Tamerlan dont les Moghols se disent les descendants. Cet usage du jade chez les Timourides était lui-même influencé par la tradition chinoise où il est, depuis des milliers d’années, considéré comme une pierre magique, symbole de l’immortalité et du pouvoir impérial. Dans l’Empire moghol, la création d’objets en jade se développe surtout à partir du règne de Jahangir (1605-1627). Les artisans indiens maîtrisent avec grande dextérité la taille de cette pierre particulièrement difficile. La finesse des décors sculptés ici est en cela un bel exemple de cet art somptuaire (art décoratif de luxe).

Des divinités hindoues

La lame, quant à elle, présente des décors de personnages. Ils ont été identifiés comme étant des représentations des divinités hindoues VishnuRama et Hanuman. Il est intéressant de noter que cet objet, confectionné dans le contexte d’une cour musulmane, présente des décors issus de la religion hindoue. Ce détail montre le syncrétisme (fusion, mélange de plusieurs religions ou cultures) pratiqué dans la culture moghole et la présence de non-musulmans dans les élites de l’empire.

Voilà donc des divinités que nous n’avons pas l’habitude de rencontrer dans la Galerie du temps !

Sur la face que nous voyons, les personnages seraient Hanuman, le dieu-singe, supportant la figure de Rama, avatar (une des apparences) de Vishnu et héros du “Ramayana”. La figure d’Hanuman est identifiée grâce à sa queue de singe dépassant sur la gauche et la massue posée sur son épaule. Sur sa tête repose une fleur de lotus épanouie sur laquelle est assis Rama couronné, les mains jointes sur la poitrine.

Le lotus (« Padma ») est un fort symbole divin dans l’hindouisme, associé au mythe de la création. Ainsi le dieu Brahma émerge d’un lotus poussé dans le nombril de Vishnu. La fleur est associée à la beauté, la prospérité, la fertilité, la spiritualité et l’éternité.

Vishnu est la deuxième divinité de la « Trimurti », la trinité suprême de l’hindouisme qui incarne les trois aspects du divin. La première de ces divinités est Brahma, le principe créateur. Vishnu est le principe protecteur, qui assure la stabilité et l’ordre cosmique. Enfin Shiva représente le destructeur. Vishnu s’incarne dans de nombreux avatars, formes terrestres que prend le dieu pour rétablir le « Dharma » (l’ordre du monde). Parmi ces avatars, Rama est le héros d’une très importante épopée populaire : le « Ramayana ». Ce texte fondamental de l’hindouisme a été composé entre le 3e siècle av. J.C. et le 3e siècle ap. J.C, compilant des récits bien plus anciens. Le « Ramayana » se compose de sept livres qui retracent toute la vie de Rama à travers de très nombreuses péripéties. Entre autres, il raconte comment Rama, aidé du dieu-singe Hanuman et de son armée de singes, reconquiert le pouvoir et délivre son épouse Sita, enlevée par le démon Ravana. Par son rôle dans le « Ramayana », Hanuman symbolise la force, la fidélité et le dévouement.

Ce poignard nous offre la possibilité d’évoquer quelques divinités hindoues, nous pourrions en évoquer encore beaucoup d’autres : l’hindouisme est réputé pour avoir 33 millions de divinités !