Connaissez-vous… le chocolat ?
Guillaume lève quelques mystères sur cette gourmandise !
Un vieil adage dit que 9 personnes sur 10 aiment le chocolat, la 10e ment surement (ou y est allergique). Mais connaissez-vous l’histoire du chocolat ? D’où vient-il ? Comment était-il consommé ? Quels sont les liens entre chocolat, piraterie et religion ?
Aux origines : le xocoatl
Commençons par le nom : chocolat. Savez-vous d’où vient ce mot ? Non pas d’une racine indo-européenne, grecque ou latine, mais c’est un mot issu de la langue nahuatl, la langue de l’ancien peuple aztèque, plus précisément dans le centre du Mexique actuel.
Le mot original, xocolatl, prononcé phonétiquement « ʃo.ko.lat͡ɬ » (cho-co-latel) désigne une boisson amère et astringente préparée à base de fèves du cacaoyer. En effet, au début de son histoire, le chocolat se boit et ne se croque pas ! C’est un breuvage sacré, qui apporte vitalité, vigueur et permet de lutter contre la fatigue. Il est d’ailleurs associé à la déesse de la fertilité : Xochiquetzal.
Comment les Aztèques obtenaient-ils le xocolatl ? Il s’agit d’un véritable tour de force agricole. En effet, le cacaoyer est un arbre très fragile, qui ne pousse qu’entre les tropiques du Cancer et du Capricorne, et de préférence à l’ombre d’autres arbres. Il est souvent soumis à la pourriture brune, une maladie qui fait pourrir ses fruits, appelés « cabosses ». Ajoutons à cela que le cacaoyer ne produit pas de fleurs suffisamment attirantes pour les insectes pollinisateurs, et doit se contenter de petits moucherons pour transporter le pollen et féconder les fleurs. Les cabosses poussent directement sur le tronc de l’arbre, mais ce dernier ne produit pas assez de sève pour toutes les faire germer ! Il est donc très rare de trouver des cacaoyers sauvages dans la nature, et malgré une exploitation précautionneuse par l’homme, l’arbre ne fournit qu’un kilo de cacao par an environ. Le cacao était donc réservé à la noblesse et au clergé aztèque.
Les fouilles archéologiques et les témoignages ayant traversé l’histoire nous permettent d’affirmer que la civilisation maya cultivait également le cacao. La civilisation maya est une civilisation bien plus ancienne que la civilisation aztèque, et a connu son apogée au début de notre ère, avant de péricliter progressivement au 12e siècle. Le chocolat est donc plus ancien qu’on ne pourrait le croire !
À l’intérieur de la cabosse du cacaoyer, les graines sont enfermées dans une pulpe blanche qu’il faut d’abord faire disparaitre naturellement par fermentation, avant de pouvoir commencer la fabrication du cacao. Mais gare à votre palais si vous croquez dans la graine à ce moment-là ! Loin d’avoir le bon gout de chocolat, la graine est extrêmement amère !
Les graines sont ensuite séchées et torréfiées, développant à ce stade l’arôme de cacao. Ces mêmes graines pouvaient être utilisées dans les civilisations méso-américaines comme monnaie d’échange (contredisant ainsi l’empereur romain Vespasien affirmant au 1er siècle de notre ère : « l’argent n’a pas d’odeur »).
Les graines sont ensuite acheminées vers les lieux de transformation, où le cacao est séparé du beurre de cacao afin de procéder à la fabrication du chocolat.
Lorsque les conquistadors espagnols rapportèrent du Mexique le xocolatl, son succès dans le vieux monde fut… médiocre. Il manquait quelque chose ! Les artisans espagnols eurent alors l’idée d’ajouter du sucre (en grosse quantité !) au cacao, ce qui permit d’obtenir du chocolat ! Il s’agit donc d’un pur produit des colonies, le sucre étant majoritairement produit à l’époque moderne grâce à l’exploitation de la canne à sucre dans les territoires du Nouveau Monde.
Le chocolat est alors consommé en tant que boisson. On y ajoute également du lait, du miel, voire certaines épices issues elles aussi de l’outre-mer.
Le chocolat devient un dessert très apprécié en Espagne, en Angleterre et dans les Pays-Bas espagnols au 16e siècle, mais il faut attendre 1615 pour voir le chocolat apparaître à la cour de Louis XIII en France.
Chocolat et religion
Nous l’avons vu, le xocolatl aztèque était lié à la déesse de la fertilité Xochiquetzal, car les Aztèques lui conféraient une action aphrodisiaque. D’ailleurs, en Europe, la question du chocolat n’est pas si éloignée de la question religieuse !
L’inquisition espagnole joue malgré elle un rôle important dans l’histoire du chocolat en France. En effet, lorsque l’Inquisition chasse les juifs Marranes (des juifs convertis au catholicisme mais pratiquant encore le judaïsme en secret) d’Espagne au 16e siècle, ces derniers passent la frontière des Pyrénées et arrivent dans la ville de Bayonne en 1609, et deviennent ainsi les premiers artisans chocolatiers français.
La question religieuse ne concerne pas que les juifs espagnols de la péninsule ibérique. L’Espagne possède depuis Charles Quint les Pays-Bas espagnols au nord du royaume de France et là aussi, la question religieuse est explosive. Les Provinces-unies font sécession des Pays-Bas espagnols en 1581 et proclament la liberté de pratiquer le culte protestant. En conséquence, de nombreux marchands fuient le port d’Anvers pour se diriger vers Amsterdam et ainsi implanter durablement le commerce de chocolat dans cette partie de l’Europe.
Enfin, un débat agite également l’église catholique : le chocolat est-il un aliment ou une source de plaisir ? Peut-on boire du chocolat durant le jeûne, par exemple au Carême ? Si la question peut nous paraître désuète, nous devons nous replonger dans les interdits alimentaires très présents durant l’époque moderne pour comprendre la portée de cette question. En 1662, après des débats théologiques agités, le cardinal Francisco Maria Brancaccio déclare : Liquidum non frangit jejunum : « la boisson [donc le chocolat] ne rompt pas le jeune ».
Chocolat et piraterie
Pour finir notre histoire du chocolat, il nous faut aborder les liens entre la délicieuse boisson et la piraterie. Même si la tradition populaire associe plus volontiers les pirates avec le rhum, de nombreux abordages et expéditions de flibustiers se sont déroulés à cause du cacao.
Mettons alors les voiles vers le sud, quittons le Mexique pour arriver au sud des Caraïbes, au Venezuela. Ce pays alors sous domination espagnole depuis 1556 est le premier producteur mondial de cacao jusqu’en 1760. Dans l’embouchure de la rivière Yaracuy, des marchands espagnols et hollandais se font face pour la domination du commerce du cacao. L’ile de Curaçao, située à quelques dizaines de kilomètres des côtes vénézuéliennes et de la ville de Caracas, abrite une colonie florissante de marchands hollandais exerçant un quasi-monopole sur l’importation de cacao en Europe du Nord.
Les tensions avec les producteurs et marchands espagnols se font sentir régulièrement au long des 17e et 18e siècles. Ainsi, la ville côtière de Tucacas abritant des marchands hollandais est attaquée par les espagnols en 1720. Ces mêmes marchands hollandais font de la contrebande de cacao avec les amérindiens et empêchent les marchands espagnols d’exercer un monopôle lucratif.
Des bateaux hollandais ou espagnols remplis d’une cargaison coûteuse traversant la mer des Caraïbes entre le 17e et 18e siècle ? Cela ne vous évoque rien ?
Les pirates, corsaires et flibustiers français et anglais attaquent régulièrement les navires transportant du cacao à destination de l’Europe. Les petites Antilles et l’île de la Tortue, repaires de terribles pirates, tels François L’Olonnois ou Barbe Noire, ne sont qu’à quelques jours de voile…
Nous finissons ici ce récit concernant le chocolat. Imaginiez-vous que le cacao avait une telle histoire ? La prochaine fois que vous dégusterez un carré de chocolat noir vénézuélien (de variété criollo, la plus aromatique), pensez à cette folle aventure ! Et si vous êtes plutôt thé ou café, alors je vous invite à (re)lire l’article de ma collègue Audrey qui en parle avec beaucoup de passion !
Bibliographie
- Deborah CADBURY, Chocolate Wars: The 150-Year Rivalry Between the World’s Greatest Chocolate Makers, Public Affairs, 2010, 384 pages.
- Pierre MARCOLINI, Cacao. De la fève à la tablette, éditions de la Martinière, 2015, 384 pages.
- Serge VOLPER, Une histoire des plantes coloniales : Du cacao à la vanille, Editions QUAE GIE; 1ère édition, 2011, 144 pages.
Crédits de l’image d’entête : © Guillaume Fraszczak