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Au nez et à la barbe !

Questions de poils en Galerie du temps, par Marion.

C’est l’hiver : un sujet pile poil

Le mot « trichologie » vient du grec ancien trikhos (« poil, cheveu ») et logos (« discours »). Il désigne l’étude de la pilosité, humaine ou animale. Chez l’homme, elle intègre les différents types de poils qui recouvrent le corps, mais aussi la barbe et la chevelure.

L’étude de la pilosité nous enseigne que les humains façonnent depuis bien longtemps leurs « poils », et que ces traitements infligés à la kératine (une protéine) qui les constituent dévoilent bien des choses sur les sociétés qui les façonnent. Les différences de traitement de la pilosité expriment en fait, outre une relation entre les genres, une forme de relation entre soi et les autres, voire avec l’ordre du monde. Elles varient aussi en fonction des évolutions esthétiques, soit pour s’y conformer, soit pour s’en démarquer. Poils au nez !

Allons faire un tour en Galerie du temps pour observer quelques système pileux…

Un poil différent des autres

Les traitements infligés à nos poils nous permettent depuis bien longtemps de nous démarquer. Les peuples usent de cette pratique depuis l’Antiquité, pour se différencier les uns des autres, pour se construire en opposition.

Chez les Grecs et les Romains de l’Antiquité, la pilosité fournie et non contrôlée est relativement peu appréciée, de même que le port de la fourrure sur soi, qui connote une forme de bestialité non désirée. Les cheveux et la barbe hirsutes, autant que la fourrure, sont réservés aux incultes, et renvoient à une forme d’état naturel barbare. La mode, qui évolue en fonction des périodes, est au visage lisse ou à la barbe travaillée, « domestiquée ». Le portrait posthume du général Pompée, réalisé dans la pierre d’après une sculpture de bronze du Champ de Mars à Rome, représente l’homme au sommet de sa gloire, après ses faits militaires en Libye, en Espagne et en Orient. L’absence de barbe laisse au sculpteur tout le loisir de traiter les reliefs de la peau relâchée d’un homme déjà mûr.

Fiers de leurs poils maitrisés, les Romains affublent la Gaule de l’adjectif méprisant « comata », c’est-à-dire chevelue. Et toc ! Une façon, par le poil, de se distinguer, et de vanner gentiment l’ennemie au passage.

Rome ?, Italie – Portrait du général Pompée (106-48 avant J.-C.) – Vers 40 avant J.-C. – Marbre – © RMN-GP (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle

Certains, un brin rebelles, n’hésitent pas à rompre les codes et à se distinguer, par pure provocation, de leurs semblables. Le roi de Macédoine Alexandre le Grand (336 – 323 avant J.-C.) refuse ainsi subitement de porter la barbe, alors que les hommes grecs portent pour la plupart, à son époque, le poil au menton. Son geste scandalise son entourage. Il lance alors une mode durable. La barbe est désormais réservée aux philosophes et aux savants. Non content d’être bien rasé, Alexandre aime aussi être bien coiffé. Sa chevelure est généralement (dans les œuvres sculptées qui le représentent), traitée en mèches relevées au milieu du front et retombant sur les côtés. Cette coiffure, appelée « anastolè », véritable marqueur identitaire pileux des effigies sculptées d’Alexandre, crée dans ses cheveux un cran, générant visuellement un effet dynamique et plein de vitalité. Reste à savoir s’il était, en réalité, aussi savamment coiffé…

Il faut attendre le règne du romain Hadrien (117 – 138 après J.-C.) pour que la barbe revienne en vogue. Marc Aurèle (161-180 après J.-C.), empereur philosophe, arbore quant à lui une barbe bien fournie et régulière, aux mèches élégamment torsadées et travaillées profondément avec à l’outil de sculpture, le trépan. Poils aux dents.

D’après Lysippe (actif vers 370-300 avant J.-C.) – Alexandre le Grand, roi de Macédoine (336-323 avant J.-C.), copie romaine d’un portrait de bronze d’Alexandre nu brandissant une lance – Vers 130 après J.-C. – Marbre – © RMN-GP (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski

 

Rome ?, Italie – Marc Aurèle, empereur romain (161-180 après J.-C.) – Vers 160 après J.-C. – Marbre – © Photo : RMN-GP (musée du Louvre) / Philippe Fuzeau

Le traitement des cheveux permet également de distinguer, dans certains civilisations, l’adulte de l’enfant. À Rome, la coupe de la première barbe chez les garçons est offerte aux dieux lares ou au Dieu Jupiter. Elle accompagne la prise de la toge virile et marque ainsi le passage d’un état à un autre.

En Égypte ancienne, les enfants portent quant à eux traditionnellement la « mèche de l’enfance ». Le crâne est rasé, et on y laisse une tresse de cheveux, retombant sur le côté de la tête. Elle est portée par les filles et les garçons, et est retirée à la puberté. On l’observe sur des représentations d’enfants royaux ou de divinités infantiles.

Le jeune Harpocrate, enfant de la déesse Isis et du dieu Sérapis, est représenté sur ce fragment architectural sous une forme enfantine, portant cette mèche de l’enfance qui retombe sur le côté de sa tête.

Henchir el Attermine (Tunisie actuelle) – Fragment de relief architectural montrant des divinités égyptiennes, remployé comme dalle funéraire chrétienne – Vers 160 après J.-C. – Marbre – © RMN-GP (musée du Louvre) / Hervé Lewandoski

Le poil se fait la malle

L’absence de poils, ou de cheveux, évolue en fonction des modes et des considérations esthétiques ou d’hygiène. Pratique plutôt répandue de nos jours (n’y voyez là aucune obligation), l’épilation est pratiquée – au moins – depuis l’Antiquité. Nous avons retrouvé, principalement dans des tombes, des outils facilitant l’épilation, comme des pinces en bronze ou des rasoirs.

Dans l’Égypte antique, l’épilation est mécanique et se réalise au moyen de pinces, de cire.

Un papyrus égyptien, le papyrus Ebers, daté environ de 1500 avant notre ère, mentionnerait ainsi une recette dépilatoire, la plus ancienne connue. Ce document est l’un des plus anciens traités médicaux, prenant la forme de liste de remèdes reliés chacun à une affection. Il y est fait mention d’une formule destinée à éradiquer les poils indésirés. La potion, dont on peut douter aujourd’hui de l’efficacité, contient du sang d’animaux, de l’huile végétale, et des minéraux broyés.

Dans les mondes grecs et romains, l’épilation est aussi de mise, et pratiquée à l’aide de pinces ou de pâtes dépilatoires (pouvant contenir de la chaux ou du sulfure d’arsenic, chic !). Les poils sont parfois brûlés au moyen de lampes à huile. Certains hommes s’épilent également. Dans les banquets antiques, la pilosité des hommes permet bien souvent de déterminer les âges et les statuts. Les jeunes et beaux esclaves serviteurs ont les cheveux longs, sont encore imberbes et se parfument. En vieillissant, les serviteurs voient leur pilosité se développer, ils sont alors contraints de s’épiler pour conserver un corps lisse, propre à stimuler l’érotisme.

Une étude plus poussée des pubis et des torses des personnages de la Galerie du temps manque aujourd’hui cruellement à la recherche (des volontaires ?). L’étude n’est d’ailleurs pas facilitée par les voiles et mains pudiques les dissimulant le plus souvent. Quelques pubis masculins – coucou Jupiter ! – montrent cependant que la représentation de la pilosité pubienne est traitée de manière aussi soignée que la chevelure, en petites bouclettes stylisées (comme c’est tendance) …

Rome ?, Italie – Jupiter, roi des dieux romains, portant le foudre et accompagné de l’aigle – Vers 150 après J.-C. – Marbre – © RMN-GP (musée du Louvre) / Philippe Fuzeau

 

Certaines pratiques dépilatoires adoptées au Moyen Âge peuvent aujourd’hui laisser songeur, allant à l’encontre de nos habitudes actuelles. Les critères de beauté médiévaux imposent en effet aux femmes de s’épiler le front, afin de repousser le plus possible la racine des cheveux. Les sourcils sont également épilés. Les pâtes dépilatoires, mentionnées dans quelques obscurs recueils, laissent songeurs : sang de chauve-souris, fiente de chat séché, et vinaigre fort sont au menu. À la fin du 13e siècle, on compte à Paris un peu moins d’une trentaine de bains chauds. Ces étuves sont les lieux privilégiés de ces épilations du corps, qui se répandent sous l’influence orientale.

L’épilation, liées aux modes esthétiques ou aux pratiques d’hygiène, peut aussi revêtir un sens symbolique, en étant porteuse de message. De nombreux rasoirs ont été retrouvés dans des tombes puniques. Le défunt était ainsi probablement rasé et épilé après sa mort, dans un but purificatoire. Dans le monde phénicien, on sait que certains temples accueillaient des barbiers, ce qui corrobore cette hypothèse.

L’absence de poils ou de cheveux, subie ou recherchée, est également un marqueur qui indique une place, une appartenance à un groupe, un rang dans la société. En Mésopotamie, la barbe est notamment synonyme de virilité. De nombreuses représentations mettent ainsi en opposition des hommes barbus avec des hommes glabres, sans barbe. Cette opposition révèle chez les seconds leur position particulière : celle d’eunuque.  Aux IIe et 1er millénaires avant notre ère, ces derniers participent à la vie de la cour. Ils sont rattachés à l’entourage royal. Le terme akkadien pour les désigner est « Ša rêši », par opposition aux barbus, appelés « Ša ziqni ». Les Lois assyriennes punissent les coupables d’adultère en les émasculant, les rendant ainsi eunuques. Certains d’entre sont en revanche eunuques depuis leur jeunesse, et élevés comme tels au sein du palais. Ils reçoivent une éducation approfondie, certains d’entre eux pouvant même jouir d’une position assez élevée.

Changeons radicalement de décor : dans le monde occidental, la tonsure des ecclésiastiques est également porteuse de message. La couronne de cheveux, laissée autour d’un sommet du crâne rasé, peut revêtir plusieurs significations, en faisant référence à Saint-Pierre ou encore en signifiant un renoncement à la luxure, aux plaisirs charnels. Certains peuvent y voir également une représentation de la couronne d’épines portée par le Christ.

La puissance du poil

Dans de nombreuses civilisations, le port de la barbe permet de se singulariser des autres mortels et d’affirmer son pouvoir royal. Elle est ainsi portée par les rois sumériens, les rois perses, mais aussi des rois égyptiens. En Égypte, les souverains portent la plupart du temps une barbe postiche. Elle est longue et fournie si le roi est représenté vivant, plus fine et recourbée s’il est représenté mort. La barbe postiche a quelque chose de symbolique, elle marque le pouvoir royal. Ainsi, la reine Hatchepsout, souveraine au 16e siècle avant Jésus-Christ, est parfois, étrangement, représentée la portant. Se laisser pousser une barbe de plusieurs jours peut être identifié en revanche comme un signe de deuil.

La représentation de cheveux ou de barbes sur les reliefs peints ou les peintures ne signifie pas pourtant forcément que ces poils sont « vrais ». Dans l’Égypte ancienne, il est fréquent que les membres de l’élite se rasent les cheveux, comme Kéki, le haut fonctionnaire moustachu (grrrr !), et les remplacent par des perruques faites de vrais cheveux, portées sur un crâne rasé ou des cheveux très courts. Les personnes de rang inférieur portent des perruques plus courtes. Les femmes peuvent orner leur tête de tresses ou de perruques, en général au-dessus de leurs cheveux naturels.

Giza, Égypte – Le majordome Kéki, « doyen de la maison », fonctionnaire de pharaon – Vers 2500-2350 avant J.-C. – Calcaire peint – © RMN-GP (musée du Louvre) / Christian Décamps

Les représentations royales perses montrent le roi portant une barbe fournie stylisée, composée de petites bouclettes régulières s’étageant en une masse géométrique. La représentation du visage royal barbu, plus conventionnel que réaliste, permet de s’interroger sur la réalité de ces barbes, qui pouvaient peut-être, comme dans le monde égyptien, être des postiches. Dans l’Empire Perse achéménide, certains peuples soumis, comme les Lyciens de Carie, sont soumis à une taxe : ils sont tenus d’envoyer régulièrement leurs cheveux coupés à la cour. On suppose que cet envoi avait un lien avec la fabrication de postiches, même si pour ce moment cela n’a pu être réellement prouvé. Les cheveux faisaient par ailleurs l’objet d’un commerce florissant. Les moins riches fabriquaient leurs postiches avec de la laine ou des fibres végétales, voire avec des touffes de poils d’animaux. Poils aux os.

Posséder, s’attribuer les cheveux d’un autre sous la forme d’un postiche, d’une perruque, est ainsi, dans l’Antiquité, un marqueur social.

Tout est permis !

Quand il est question de poils, chaque époque et chaque endroit sur terre a ses préférences et ses petites manies. L’étude des pratiques pileuses dans l’Empire Qajare (en place en Iran de 1786 à 1925) nous enseigne qu’un peu de poils au-dessus de la lèvre supérieure est prompt à susciter l’admiration et le désir. La période est marquée par l’introduction de la photographie en Iran, sous l’influence occidentale. Les photographies de femmes de l’époque nous montrent des sourcils noirs, fournis, arqués « en arrêtes de poisson » qui se rejoignent en leur centre. Les femmes entretiennent aussi volontiers au-dessus de leur lèvre supérieure un duvet noir fourni. À cette époque, les codes de beauté entre hommes et femmes sont finalement assez indéfinis : si les femmes entretiennent à ce point leur pilosité faciale, c’est parce que l’idéal de beauté, aussi bien chez pour les hommes que pour les femmes, est celui de l’adolescent (« amrad » en persan), portant un duvet (appelé « plante d’amour ») au-dessus de sa lèvre. Les hommes, qui portent moustaches et barbes fournies, tendent en revanche, sous l’influence occidentale, à se raser de plus en plus : le duvet de la femme devient alors, progressivement, indésirable…

Bahram Kirmanshaki (Actif à Téhéran (Iran)) – Portrait de Nasir al-Din Shah, souverain de la dynastie qajare (1848-1896) – 1857-1858 – Huile sur cuivre – © RMN-GP (musée du Louvre) / Claire Tabbagh

Aux confins de l’histoire, de l’histoire de l’art, de l’anthropologie, de la psychologie, de la biologie et de la linguistique, l’histoire du poil n’a pas fini de délivrer ses secrets. Poils aux poignets !

 

Vous souhaiteriez en savoir plus ? Deux ouvrages absolus de référence, à consulter pour en savoir plus :

  • Bromberger Christian, Le sens du poil ; une anthropologie de la pilosité, Creaphis Éditions, 2015
  • Auzépy Marie-France et Cornette Joël, Histoire du poil, Belin, 2011