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À la recherche de la recette de la porcelaine dure

Eléonore revient sur un pan de l’histoire de la porcelaine française et du fameux bleu de Sèvres.

Les européens découvrent les porcelaines dures d’Extrême-Orient au début du 15e siècle. Fascinés par la beauté de cette matière translucide, d’un blanc pur et résistante à la rayure, ils tenteront d’en percer le secret de fabrication.

Le père d’Entrecolles, missionnaire jésuite, en ramène quelques échantillons suite à un voyage en Chine. Pour créer la porcelaine à pâte dure, il faut une argile blanche à base de kaolin*. À cette argile vitrifiable naturellement est ajoutée un feldspath quartzeux*. Le kaolin donne la pureté du blanc à la porcelaine.

En Europe, la recherche effrénée de gisement de kaolin n’aboutit pas. En revanche, elle permet au faïencier rouennais, Louis Poterat, de créer les premières porcelaines tendres en 1673. D’aspect très proche, elles sont néanmoins facilement rayables, opaques et d’un blanc légèrement crémeux.

Certains artisans transfuges* dévoilent le secret de la porcelaine tendre à la concurrence. Ainsi naissent, peu avant 1700, les ateliers de Saint-Cloud, puis Lille, Chantilly, Mennecy.

En 1708, Jahann Friedrich Bottger et Ehrenfried Walter von Tchirnhaus découvrent le premier gisement de kaolin en Saxe et créent la manufacture de Meissen : première productrice de porcelaines dures d’Europe. L’engouement des européens et surtout des Français permet à Meissen d’exporter largement des objets de grande qualité.

 

Création de la manufacture de Vincennes

En 1738, Louis XV et le ministre des finances Orry de Fulvy créent la manufacture de Vincennes. Ils en confient la gestion aux frères Dubois, deux artisans-chimistes transfuges de la manufacture de Saint-Cloud.

Dès 1740, Vincennes fabrique de la porcelaine tendre. Louis XV, conseillé par Madame de Pompadour, soutient financièrement cette création bien qu’il y ait d’autres manufactures françaises qui en produisent.

Orry de Fulvy s’inquiète de la fuite des capitaux à l’étranger notamment en Saxe due à la vente de la porcelaine dure aux Français. Il demande donc à Louis XV de rémunérer les frères Dubois afin qu’ils découvrent la composition de la porcelaine dure et puissent concurrencer Meissen. Mais les Dubois s’étaient vantés de connaissances qu’ils n’avaient pas totalement ! Et leurs recherches sont infructueuses… Le faïencier de l’atelier de Chantilly, François Gravant est appelé pour les aider. Or il profite de leur sommeil pour leur dérober le fruit de leurs recherches. Cette base précieuse l’aide, après 5 ans de tâtonnements, à percer le secret de la porcelaine dure. Elle est donc produite à Vincennes dès 1745. L’entreprise se développe rapidement grâce à des privilèges comme le monopole de la fabrication de fleurs très la mode.

En 1748, Vincennes invente les statuettes en biscuit* c’est à dire cuites une fois et non émaillées. Leur aspect mat créée des jeux d’ombres et de lumière assez doux. Ces sculptures s’imposent et se développent, en 1751. Très en vogue, elles n’évincent toutefois pas la statuaire blanche émaillée qui continue à plaire.  Le biscuit à l’avantage de limiter les pertes dues aux accidents de cuisson et d’être économique. On trouve des biscuits de porcelaine tendre comme de porcelaine dure.

Manufacture de Sèvres
Etienne Maurice Falconet (1716-1791) sculpteur, d’après François Boucher (1703-1770) peintre
Le flûteur
1757
Biscuit de porcelaine tendre
© RMN-Grand Palais (Sèvres, Cité de la céramique) / Thierry Ollivier

 

Transfert des ateliers de Vincennes à Sèvres, un peu plus près du roi

En 1752, pour palier à une mauvaise gestion des ateliers de Vincennes, Louis XV fait des dons et annule les privilèges de la manufacture. Madame de Pompadour, très intéressée par les arts, le sensibilise et suggère le transfert de Vincennes à Sèvres, situé plus près de Versailles. Elle se voit dotée du titre de manufacture Royale l’année suivante.

La construction de la nouvelle manufacture de Sèvres commence en 1753. Les plans sont pensés de façon à préserver les secrets : les visiteurs ne peuvent pas entrer dans les ateliers. Les techniques de fabrication sont accessibles uniquement en traversant les appartements privés du directeur placé à côté de ceux du roi.

La porcelaine tendre remporte un vif succès. Sèvres se soucie de ses qualités techniques et fait appel à Jean Hellot, membres de l’académie des Sciences en 1752. Dans un registre, il répertorie tous les procédés de fabrication de la pâte, de l’enduit vitreux*, des couleurs de décor et de la dorure de la porcelaine tendre. Avec Jean-Jacques Bailly, il améliore et met au point une large gamme de nouvelles couleurs : bleu, pourpre, rouge, jaune, orangé, vert… Sèvres commande à Jean-Claude Duplessis, orfèvre du roi, des formes innovantes dans le style rocaille léger, asymétrique et inspiré de la nature. Le vernis*, facilement rayable, est épais et amollie les contours des sculptures qui perdent les détails du relief.

Manufacture de Vincennes
Jean Claude Duplessis (1699-1774)
Service Bleu céleste : terrine
1753-1754
Porcelaine tendre
© RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot

 

En 1757, la Pompadour introduit des sculpteurs de talent à la manufacture tels que Etienne Maurice Falconet spécialisé dans la création de groupes mythologiques ou de groupes d’enfants en biscuit, Jean-Baptiste Oudry conçoit des sujets animaliers. Quant au peintre François Boucher, il fournit des divinités, groupes d’enfants et allégories.

En 1759, son pouvoir augmentant, le roi achète la totalité des actions de la manufacture afin de soutenir ses difficultés financières. Il devient le principal administrateur. De 1760 jusqu’à la Révolution française, la manufacture de Sèvres est la propriété du roi exploitée en son nom et pour son compte.

Jusqu’en 1760, Louis XV organise des expositions annuelles à l’approche de Noël afin de vendre les porcelaines aux courtisans. Il offre les plus belles pièces, en cadeau diplomatique et la porcelaine de Sèvres se diffuse largement et fait rayonner le goût et la qualité française à travers le monde.

En 1766, Pierre-Joseph Macquer découvre les premiers gisements de kaolin de France, à Saint-Yrieix, près de Limoges. Après de nombreuses expérimentations, il crée des porcelaines dures en 1768. Jusqu’à la fin du 18e siècle, la manufacture de Sèvres crée de la porcelaine tendre et de la porcelaine dure.

En théorie, la manufacture de Sèvres a le droit exclusif d’utiliser l’or et de peindre la figure humaine. Mais en réalité, suite à la découverte de kaolin en France, les manufactures de porcelaine dure prolifèrent et se mettent sous la protection des membres de la famille royale afin de les concurrencer jusqu’au 19e siècle.

À toutes les époques, les créations de Sèvres se divisent en 3 catégories : les vases et pièces d’ornementation, les pièces de service de table et les sculptures.

 

Le décor au bleu de Sèvres, une vraie marque de fabrique

La palette de couleurs des porcelaines tendres est différente de celle des porcelaine dures car les compositions chimiques sont adaptées au matériau qu’elles recouvrent et les températures de cuisson sont différentes. (Cliquez ici pour en découvrir l’illustration.)

Dès les débuts, Sèvres est réputée pour ses décors de couleur bleue utilisée pour les motifs décoratifs et la couleur de fond. Cette dernière, posée en large aplat, sur une partie de la surface de l’objet permet de faire ressortir le blanc de la porcelaine laissé en réserve. Les motifs floraux, animaliers, de paysages, mythologiques… sont peint à la main sur les parties laissées blanches. La frontière entre la couleur de fond et la porcelaine en réserve n’est pas toujours bien nette car le putois*, pinceau utilisé pour appliquer le fond est assez large et manque de précision. Le décor de bordures à l’or sert aussi de passage entre la couleur de fond et la réserve afin de masquer les irrégularités. Les pièces anciennes possèdent moins d’or. La porcelaine dure accepte plus facilement l’or que la porcelaine tendre.

Pour les porcelaines tendres, les couleurs de fond bleues sont le lapis (1752), bleu céleste (1753, inventé par Hellot), le bleu turquoise ou bleu du roy (1760, inventé par Hellot) et le bleu Jallot (1765, du nom de son inventeur).

En 1763, Sèvres crée un bleu nouveau appelé aussi bleu de Sèvres pour les porcelaines dures composé d’oxyde de cobalt. Le nom du bleu de Sèvres est différent selon sa technique d’application. En couche très mince, il est très clair et transparent et se nomme bleu agathe. En couche très épaisse, il est appelé gros bleu. Pour une épaisseur entre celle du bleu agathe et du gros bleu, on parle alors de bleu lapis. S’il est posé de manière irrégulière et donne des effets de clair et de foncé en fonction de son épaisseur, il est dit bleu nuagé.

D’autres couleurs que le bleu peuvent être posées en couleur de fond comme le vert, le rouge, le pourpre, le carmin mais pas le rose car l’oxyde de fer supporte mal les fortes températures de cuisson. Néanmoins, un procédé à l’or, très complexe, a été mis au point et permet d’obtenir le rose. Le violet à base d’oxyde de manganèse ou de pourpre d’or est sensible aux hautes températures et doit être cuit au feu de charbon et non au feu de bois.

Le nombre de cuisson augmentent le prix des porcelaines et une pièce bleu céleste coûte plus cher qu’une pièce bleu lapis avec de la dorure par exemple.

 

Des artisans d’art qui ont de l’or dans les mains

Les employés sont nombreux et spécialisés. Ils possèdent un savoir-faire très précis : sculpteurs, façonneurs d’objets, mouleurs, émailleurs, chimiste-créateur des couleurs, peintres sur porcelaines, poseurs de décors à l’or, responsables des cuissons… Ils ont des privilèges mais ne peuvent pas s’absenter de Sèvres sans accord afin de protéger les secrets de fabrication. Il leur est interdit de travailler dans d’autres manufactures sous peine de prison. La manufacture embauche des transfuges car ils sont déjà expérimentés.

Quelques artistes influencent la production de Sèvres comme les peintres Jacques Bachelier, François Boucher, Jean-Jacques Lagrenée… Les planches botaniques et oiseaux de Buffon sont aussi une source d’inspiration importante. Une fois épuisée, en 1785, le roi achète la collection de peintures – dessins et études de l’atelier de François Desportes comportant diverses études animalières, planches botaniques et scènes de chasse pour les renouveler.

 

Glossaire :

*Kaolin : c’est un silicate d’alumine hydraté, une argile primaire formée par la roche mère (roche feldspathique) ; n’ayant pas « voyagée » comme les argiles secondaires, elle se reconnaît à sa teinte très blanche.

*Feldspath quartzeux : la pâte à porcelaine est composée de kaolin, de feldspath et de quartz. Le feldspath quartzeux est une composition à base de feldspath et de quartz.

Le feldspath est une roche fusible, constituée de cristaux blancs ou rosés. C’est un fondant : il fait donc fondre le kaolin et le quartz à plus basse température pendant la cuisson.

Le quartz est une roche inerte, composée de silice cristallisée que l’on trouve dans de nombreuses roches (grès, granite), habituellement incolore.

*Artisan transfuge : personne qui abandonne une manufacture pour aller travailler dans une autre, fort de son savoir-faire.

*Biscuit : désigne la première cuisson, de 940°C, des objets façonnés en pâte à porcelaine. La pâte ainsi vitrifiée dans la masse peut être émaillée.

Une confusion est possible puisque ce terme définit initialement les statuettes non émaillées, créées en pâte à porcelaine.

*Enduit vitreux : terme qui désigne à la fois le vernis des porcelaines tendres et la couverte des porcelaines dures. L’enduit vitreux est la fine peau minérale qui recouvre le corps des porcelaines. Il est d’aspect lisse et brillant.

*Vernis : enduit vitreux qui recouvre le corps des porcelaines tendres.

*Putois : pinceau en poils de putois utilisé pour appliquer la couleur de fond sur l’objet en porcelaine. Cette action est appelée le putoisage.

 

Références de la photo d’entête :

Manufacture royale de Sèvres
Assiette plate Duplessis, décor du service aux Oiseaux
Date du premier dépôt : 1872
Porcelaine dure
Sèvres, Manufacture et Musée nationaux en dépôt à Paris, palais de l’Élysée
© musée du Louvre-Lens / Eléonore Deruard