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Léda et le cygne sur un plat(-eau)

Eléonore vous explique ce qu’est la majolique fine et revient sur le décor de grotesques de ce plat.

Au centre de ce plat, Léda a l’air bien seule. À bien y regarder, elle n’est pourtant pas si seule que ça ! Elle est accompagnée d’un cygne, et d’autres créatures bien étranges l’entourent.


Ce plat en majolique fine est créé en Italie aux environs de 1580 – 1600 dans l’atelier des Patanazzi.

 

Mais, comment fabrique-t-on la majolique fine ?

Avec beaucoup de patience et de solides connaissances en chimie ! Pour comprendre cette technique complexe, il est plus facile de la comparer à la pâtisserie. Eh oui, la cuisine, c’est aussi de la chimie quand on y pense ! Alors imaginez-vous un quatre-quarts nappé d’un glaçage au sucre et vous aurez tout compris. La pâte à quatre-quarts est poreuse et légèrement colorée, elle est cachée par le sucre bien blanc. Et si nous revenons à notre objet, le blanc sera une base intéressante pour mettre en valeur un décor coloré.

Au 15e siècle, l’Italie, fascinée par la porcelaine chinoise et les céramistes islamiques, découvre que les couleurs posées sur un émail blanc sont plus lumineuses. Les artistes italiens cherchent de nouveaux procédés techniques qui permettraient de réaliser un décor proche de l’aspect d’une peinture à l’huile et changeraient de la peinture décorative sur céramique. Comme il n’est pas encore possible de se procurer des argiles parfaitement blanches qui pourraient recevoir directement le décor, les céramistes mettent au point un enduit blanc à poser sur la surface de l’objet. Leur démarche est identique à celle du peintre occidental qui commence par enduire sa toile de blanc de plomb mêlé à de l’huile. Les céramiques du Proche-Orient et les émaux champlevés médiévaux* de France et d’Italie ont aussi aiguillé leurs recherches.

Ainsi, vers 1500, les Italiens inventent la majolique fine et l’émail stannifère. Ce produit de luxe coûte cher car de nombreuses personnes expérimentées sont nécessaires à la bonne réalisation de toutes les étapes de fabrication.

Tout d’abord, l’objet est façonné en argile et cuit une première fois à une température entre 750°C et 850°C.

Ensuite, il est recouvert d’émail stannifère composé de calcine* d’étain afin de le rendre opaque et de lui donner sa couleur blanchâtre qui cache le rose-orangé de l’argile et fait ressortir les couleurs du décor. Le décor est peint à la main. Les tons ne sont jamais mélangés entre eux mais posés les uns à côtés des autres ou les uns sur les autres. Chaque ensemble apparait plus lumineux et cela simplifie la lecture du décor souvent complexe. La pose des couleurs permet de rendre les volumes et crée des rythmes par des graphismes discrets. Il existe neuf teintes créées à partir de minéraux, de terres naturelles ou d’oxydes métalliques mélangés à une fritte* qui est une matière semblable au verre. Parmi elles, on trouve le bleu de cobalt, le vert de cobalt ou d’antimoine, le vert de cuivre, le jaune d’antimoine, le violet de manganèse, le rouge de fer, le jaune orangé de fer, un brun de fer et le noir de cobalt et manganèse ou fer.

 L’objet subit une deuxième cuisson d’environ 750°C à 950°C, pour éviter que les couleurs du décor ne fondent et ne se mêlent entre elles et à l’émail.

L’objet est ensuite recouvert d’une « copperta » ou « marzacotto », une peau de verre incolore et transparente qui protège le décor. Les couleurs du décor étant mates, la « copperta » permet d’obtenir un objet à la surface très brillante. Elle est plus tendre que l’émail stannifère.

La céramique est cuite une dernière fois à basse température.

La majolique fine italienne ou française reçoit la “copperta”. Ce n’est pas nécessaire pour une faïence stannifère car l’émail possède assez de fondant permettant d’obtenir une couche proche d’un verre et donc une meilleure résistance à la rayure. Il est très difficile de faire la différence, même pour un œil averti, car les techniques de fabrication et l’aspect sont très proches.

Au début du 16e siècle, en Italie la fabrication de faïences est en plein essor et les modes changent dans les grands centres de production de faïence comme Urbino où deux ateliers sont particulièrement importants, celui de la famille Fontana et celui de la famille Patanazzi. C’est de ce dernier que provient notre plat.

Mais c’est la manufacture des Fontana, vers 1560, qui invente un nouveau décor où la scène historiée (ici la scène mythologique au centre) est réduite au profit du décor “a raffaellesche”, c’est-à-dire un décor inspiré des fresques peintes par Raphaël* au Vatican. Elles sont symétriques, peuplées de grotesques sur fond blanc et connues sous le nom de style raphaélesque. Très rapidement, tous les faïenciers utilisent ces modèles.

Comment notre cher Raphaël a-t-il pu imaginer ces décors de grotesques ?

Des fresques de maisons romaines antiques telles que le palais de Néron, la Domus Aurea (Maison dorée), sont redécouvertes lors de fouilles archéologiques vers la fin du 15e siècle. Ensevelies, elles ont l’aspect de grottes.

À la Renaissance, les artistes italiens s’en inspirent pour imaginer un décor dont ils bordent leurs propres fresques, composées de feuillages qui s’enroulent et s’entrelacent, et sont habités par des figures de mascarons*, personnages et animaux fantastiques. Ces motifs décoratifs peuvent être peints, dessinés ou sculptés. Les peintres leur donnent le nom de « grotesques » qui vient du mot grotte.

La génération d’artistes suivante poursuit les recherches et Raphaël est émerveillé par ces décors antiques et leur parfait état de conservation. De 1516 à 1519, en collaboration avec Giovanni da Udine*, il crée le décor des loggias du palais du Vatican et renouvelle les motifs de grotesques par la disposition plus aérée des éléments, l’utilisation de nombreuses figures et d’un fond blanc. Très prisés des princes, ces grotesques peuvent orner les murs et plafonds trop étroits sur lesquels le déploiement d’une grande peinture est impossible. Ces images ne racontent pas une histoire, elles peuvent encadrer tous les sujets peints puisqu’elles ne sont pas en lien avec la scène qu’elles entourent. L’absence de perspective laisse nos yeux se perdre sur toute leur surface, à la rencontre de têtes de faunes, nymphes, masques pour se délecter des nombreux détails raffinés.

De nombreux artistes italiens s’en font une spécialité et diffusent largement cet art qui se dégage peu à peu de la référence à l’Antiquité. Des gravures imprimées les font connaître dans toute l’Europe. Au 17e siècle, il n’y a pas de nouveau modèle, excepté en France ou Jean Bérain* crée une variation très utilisée en faïencerie. Au début du 18e siècle, les grotesques modernes sont appelés arabesques.

 

Petit glossaire pour la route !

*Émail champlevé* : C’est un type d’émail qui est produit en coulant la pâte d’émail colorée dans les cavités préparées à la surface d’une plaque métallique.

*Raphaël : Un des plus célèbres peintres et architectes italiens de la Renaissance, né en 1483 et mort en 1520. Il a non seulement créé des fresques ornant encore aujourd’hui le Vatican mais le chantier de la basilique Saint-Pierre de Rome lui a également été confié avant qu’il ne meure sans l’avoir achevé.

*Giovanni da Udine: Peintre et architecte italien de la Renaissance, né en 1487 et mort en 1564. Il fut l’élève et l’assistant de Raphaël, notamment dans le chantier des décors de la villa Farnésina et des loges vaticanes.

*Calcine : Oxyde

*Fritte : Mélange vitreux obtenu par fusion et broyage de différents matériaux comme la silice, la soude ou la potasse

*Mascaron : Ornement en forme de masque ou de visage

*Jean Bérain : Né en 1640 et mort en 1711, c’est un peintre, aquarelliste, dessinateur, graveur, ornemaniste et décorateur français. Il a travaillé pour le roi Louis XIV et a renouvelé l’art des grotesques à sa manière, en le nourrissant de monumentalité et de délicatesse.