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À la découverte de l’argent

De la mine à la table, Guillaume revient sur l’itinéraire d’un métal particulier.

En lien avec l’exposition Les Tables du pouvoir, nous allons évoquer un métal bien particulier et présent dans diverses œuvres exposées en ce moment au musée. Ce métal porte le numéro atomique 47, son point de fusion est de 961,8 °C, sa densité est de 10,49g/cm3, son symbole est Ag, il s’agit de … l’argent !

 

L’importance de l’argenterie

Dès l’Antiquité, les élites manifestent une envie de manger dans de la vaisselle faite de métaux précieux, à l’exception notable de la Chine et du Japon, où la mode était à la porcelaine et à la vaisselle laquée.

En Europe, depuis l’Antiquité grecque jusqu’au 18e siècle, la vaisselle des classes aisées était fabriquée en argent, hormis le tranchoir médiéval fait de bois ou de pin.

La possession d’argenterie témoigne de la richesse du foyer : plus celui-ci est riche, plus nombreuses et plus finement ciselées sont les pièces du service d’argenterie. Ces dernières étaient même quelquefois uniquement destinées à être présentées sur le dressoir, une pièce de mobilier servant à montrer la vaisselle aux invités.

Au Moyen Âge et au début de l’époque moderne, l’argenterie était considérée comme un objet de valeur, un véritable trésor permettant la thésaurisation* ainsi que la transmission de la fortune familiale par héritage. Ainsi, l’inventaire royal de Charles V de France fait état de plus de 2500 pièces de vaisselle en argent. Attention cependant, durant la Renaissance, à ne pas passer outre les lois somptuaires*, et montrer trop d’opulence avec son argenterie !

Aiguière en forme de Dragon Volant, 17e siècle
© RMN-Grand Palais (musée de la Renaissance, château d’Ecouen) / René-Gabriel Ojéda

 

Une très grande majorité de la vaisselle en argent de la Renaissance et du Moyen Âge n’est pas parvenue jusqu’à notre époque car l’argenterie était souvent fondue pour financer les guerres européennes.

Afin de prendre soin de cette argenterie, les familles nobles ou bourgeoises embauchent un argentier, un professionnel de l’entretien de l’argent. Son métier consistait à entretenir la vaisselle en argent sans la ternir, mais également savoir la stocker de manière sécurisée, et disposer l’argenterie sur la table et le dressoir avec raffinement et sens de l’esthétique.

Service du roi d’Angleterre George III : ensemble de 12 assiettes, AUGUSTE Robert-Joseph, 1783-84
© Sabrina Hadid

 

Outre l’aspect précieux et esthétique de l’argent, ce métal possède également une qualité très importante pour l’utilisation culinaire : il possède un effet antimicrobien.

En effet, certains ions métalliques présents dans l’argent, mais également le cuivre (et ses alliages) agissent sur les bactéries et certains champignons, en empêchant leur prolifération. On parle alors d’effet oligodynamique pour décrire cette action antimicrobienne.

 

Durant l’Antiquité, la place prépondérante de la production espagnole

Si les prémices de l’extraction de l’argent remontent au Néolithique, les premiers véritables filons d’exploitation trouvent leur source en Cappadoce (Turquie actuelle) et en Attique (Grèce) dès l’âge du Bronze, vers 1200 avant J.-C.

L’utilisation du métal argenté se diffuse dans le Proche-Orient, en Mésopotamie ainsi que sur le pourtour méditerranéen, notamment l’Égypte et les comptoirs phéniciens. D’ailleurs, dans les colonies phéniciennes en Espagne, se développe un grand centre de production argentifère.

Tasse en argent d’Egypte, 1963-1786 avant J.-C.
© Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Christian Decamps

L’Espagne est une grande productrice d’argent qui, selon Pline est « le meilleur du monde romain ». Au 6e siècle avant J.-C., le poète grec Stésichore évoque « les ressources infinies (ou innombrables) aux racines d’argent du fleuve Tartessos » (actuelle Andalousie). La présence de l’argent se retrouve dans la toponymie (l’étude des noms de lieux) : on ne compte pas moins de 3 sites qui portent le nom de « Montagne d’Argent » en Espagne. Autre exemple, un roi des Tartessiens, la civilisation habitant la région bien avant la colonisation romaine, porte déjà le nom de « Arganthonios », il était allié des Phocéens (désignant les habitants de Phocée, cité grecque ayant créé la colonie de Massalia, plus tard connue sus le nom de Marseille). Les sources archéologiques nous informent que l’argent de Tartessos était fort prisé des Grecs mais également des Phéniciens (Carthaginois), ces derniers faisaient l’échange de leur huile contre le minerai.

Les richesses de la mine et de l’agriculture de la péninsule ibérique aiguisent les appétits de colonisation de Rome. Dès le début de la conquête de l’Espagne par les Romains, le produit des mines de la péninsule vient grossir le trésor des conquérants. Les mines d’argent d’Espagne comptent parmi les plus productives mines d’argent de l’Antiquité.

Les mines d’argent natifs, c’est-à-dire où l’argent est le seul minerai excavé sont assez rares, car l’argent se trouve surtout associé dans le minerai de plomb, la galène. Pline explique que l’argent est communément associé à la galena, à tel point que l’on peut constater des confusions entre les deux minerais dans ses écrits.

À la fin de la République, et sous le Haut-Empire, l’argent de l’Hispania (nom donné à l’Espagne par les Romains) a servi à créer de la vaisselle, retrouvée notamment dans la haute vallée du fleuve Guadalquivir. L’État romain ne prélevait pas directement l’argent, mais il collectait de nombreuses taxes sur les exploitations minières espagnoles.

À partir du 3e siècle, les mines d’Hispania connaissent un déclin. Des invasions barbares, un manque de main-d’œuvre locale et la concurrence d’autres régions de l’Empire (Dalmatie, Pannonie, etc.) entrainent un déclin de la production minière espagnole, qui ne retrouve toute son importance que lors de la conquête de la péninsule par les forces arabo-musulmanes au Moyen Âge.

 

Les mines d’argent de la France médiévale

L’étude de la production d’argent durant le Moyen Âge est moins facile que durant la période romaine. Les sources monétaires doivent ainsi être exclues car les refontes de pièces sont nombreuses et donc inutilisables. Nous ne pouvons pas non plus nous baser sur les nombreux ateliers monétaires car ils se situent loin des gisements argentifères.

Il n’existe pas d’iconographie des mines et de l’exploitation d’argent dans l’Europe médiévale, a contrario de l’époque de la Renaissance où l’on retrouve un nombre important de représentations iconographiques.

Enfin, il n’existe quasiment pas de textes sur l’extraction minière au Haut Moyen Âge. Les premiers vrais documents datent du 12e siècle avec les chartes, donations et règlements de conflits, puis au 13e siècle apparaissent des mentions de la production argentifère dans des actes de procès et des documents comptables comme les comptes de châtellenie.

Pour étudier la production argentifère au Moyen Âge, la source principale est donc l’archéologie médiévale, cette dernière permet d’étudier les techniques utilisées et l’agencement des mines, et de localiser les sites de production.

Il existe de nombreux gisements argentifères au Moyen Âge en France, mais ils sont pour la plupart associés à d’autres gisements : cuivre, zinc, galène, comme nous l’avons vu précédemment avec les mines espagnoles. Ces mines se situent notamment dans les massifs anciens : massif central, massif armoricain.

Durant le Haut Moyen Âge, dans l’Empire carolingien, la numismatique (l’étude des monnaies et médailles) ainsi que l’archéologie nous apprennent que le site de Melle, dans la région française des Deux-Sèvres, est le plus grand centre producteur d’argent de l’Empire carolingien. Cette période d’apogée des mines de Melle correspond aux 9e et 10e siècles. Des deniers (monnaie d’argent) Mellois frappés à l’époque carolingienne se retrouvent ainsi dans des trésors retrouvés dans les Baléares, en Andalousie, à Fécamp (alors dans le duché de Normandie), ou Dorestad, à l’embouchure du Rhin dans les Pays-Bas.

Au 13e siècle, des chartes, c’est-à-dire des contrats entre deux puissances (roi et seigneur, seigneurs et abbayes, etc.) font état de mines d’argent en Ardèche et dans les Cévennes. Un arc d’argent se dessine le long de la bordure sud du massif central.

Longtemps laissée à des initiatives privées ou seigneuriales, la production d’argent s’inscrit dans les prérogatives royales par une ordonnance de Louis XI en 1471 relative à la volonté du souverain de rétablir son droit régalien sur les mines.

Cependant, dans le royaume de France, la production d’argent reste relativement faible comparée à celle du Saint Empire romain germanique (actuelle Allemagne). Le désintérêt pour les mines d’argent en France débute dès le 15e siècle. Le dynamisme minier se situe ailleurs, dans des régions où le métal est plus abondant et plus facilement exploitable, dans le Tyrol autrichien par exemple.

 

Depuis la Renaissance, le Nouveau Monde devient le centre de production de l’argent mondial

Le grand bouleversement de l’histoire des mines d’argent démarre en janvier 1545 avec la découverte par les colons espagnols du Cerro Rico, dans le département de Potosi, dans l’actuelle Bolivie.

Les colons espagnols qui ont fondé la vice-royauté du Pérou en 1542 découvrent en effet dans le département de Potosi une montagne aux gisements argentifères dépassant l’entendement : 240 tonnes d’argent sont extraites chaque année des mines du Cerro Rico et viennent emplir les caisses des navires en partance pour l’Espagne ! L’Espagne abreuve alors le vieux monde d’un flot  quasiment ininterrompu d’argent : les comptes font état d’environ 4800 tonnes d’argent qui arrivent chaque année des mines du Nouveau Monde vers les réserves espagnoles sur le continent.

En espagnol, la « riche colline » est tellement importante qu’elle entre dans le vocabulaire populaire : Vale un Potosi – littéralement « cela vaut un Potosi » – est une expression qui fait référence à quelque chose d’extrêmement riche.

 Au 18e siècle, l’argent provient majoritairement encore de l’empire colonial espagnol, notamment de l’actuelle Bolivie et de l’actuel Mexique, avec une production plus importante pour ce dernier.

Le continent américain produit tout au long de l’époque contemporaine la majeure partie du minerai d’argent, depuis le Mexique jusqu’aux mines d’argent nord-américaines au 19e siècle : Nevada, Colorado et Idaho.

Au début du 21e siècle, sur les 9 premiers producteurs d’argent dans le monde, 5 sont situés en Amérique : Mexique, Pérou, Chili, États-Unis, Canada.

 

Glossaire : 

  • Thésaurisation : fait de vouloir garder son argent en dehors des circuits économiques traditionnels.
  • Lois somptuaires :  ensemble de lois qui réglementent les habitudes de consommation d’un peuple.

 

Bibliographie :

 

Référence de l’image en tête d’article : 

  • Le trésor de Notre-Dame d’Alençon, 3e siècle, © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Tony Querrec