Par-delà les mille et une nuits. Histoires des orientalismes
Avec près de 300 chefs-d’œuvre, l’exposition Par-delà les Mille et Une Nuits invite à un voyage à travers le temps pour découvrir comment formes, imaginaires et savoirs circulent et se transforment. L’exposition explore les vies multiples des œuvres — les destins des objets depuis leur création, leurs voyages, leurs réinterprétations — et interroge la manière dont se construisent, se transforment et se transmettent les récits.
Au début du 18e siècle, Antoine Galland publie en français Les Mille et Une Nuits, un ensemble de contes issus de traditions indiennes et persanes, transmis en arabe dès le 9e siècle. Portées par la figure de Schéhérazade, ces histoires, façonnées par des siècles de réécritures, ouvrent un imaginaire où le récit devient un espace de survie, d’invention et de transmission. Leur succès en Europe marque profondément les représentations de l’Orient, révélant autant un désir d’ailleurs qu’un miroir tendu aux sociétés qui les accueillent.
Mais cette histoire ne commence ni avec Galland ni au 18e siècle. Dès le Moyen Âge, échanges commerciaux, diplomatiques et culturels font circuler objets, motifs et savoirs entre les rives de la Méditerranée et au-delà. Textiles et objets précieux sont conservés dans les trésors d’églises, les collections princières ou royales, parfois réemployés et transformés. Les sciences, les arts et la littérature du monde islamique sont alors largement connus, intégrés et discutés. L’Orient n’apparaît pas comme un espace homogène ou figé, mais comme une réalité plurielle, mouvante, définie différemment selon les époques et les contextes.
L’exposition Par-delà les Mille et Une Nuits explore le destin des objets sur le temps long. Collectionnés, admirés, réinterprétés ou parfois mal compris, ils témoignent de leurs usages, de leurs déplacements et des regards successifs qui les ont accompagnés. Elle réunit des œuvres majeures des Arts de l’Islam du musée du Louvre, profitant de la fermeture temporaire du département pour sa refonte, enrichies de prêts exceptionnels de collections françaises et belges. À travers une approche chronologique et critique, l’exposition retrace, sous le prisme français, les échanges culturels entre Orient et Occident du Moyen Âge à nos jours. De Paris à Ispahan, de l’Alhambra au Caire, de Constantinople à Venise et Alger, elle propose un voyage dans l’espace et dans le temps, où se croisent objets, imaginaires, humains et histoires.
Plusieurs sections rythment le parcours : Dès le 8e siècle, des objets venus d’Orient, perçus comme précieux et miraculeux, circulent en Europe et enrichissent trésors d’églises et collections royales. La légende des échanges entre Charlemagne et Haroun al-Rashid illustre le prestige de ces objets. À partir du 13e siècle et particulièrement à partir du 16e siècle, le commerce méditerranéen intensifie les transferts et les savoir-faire, tandis que les échanges diplomatiques et la fascination pour l’Empire ottoman nourrit turqueries et imaginaires européens. L’Orient inspire artistes, écrivains et musiciens de Molière à Rameau, tout comme Les Mille et Une Nuits, traduites et adaptées. Récits historiques et imaginaires se construisent autour d’œuvres emblématiques comme le « baptistère de saint Louis ». Au 18e et 19e siècle, les voyages savants à l’Alhambra et au Caire révèlent des patrimoines méconnus, inspirant l’alhambrisme en musique et la création artistique au 19e siècle. D’Ingres à Delacroix, de Gérôme à Matisse, en passant par les collectionneurs Goupil et Delort de Gléon dont les ensembles sont ici reconstitués, les objets rêvés ou collectionnés sont réinterprétés dans les peintures et les intérieurs. Les expositions universelles popularisent ces images, bien souvent stéréotypées, tandis que les musées hiérarchisent les arts. Aujourd’hui, ces mêmes musées interrogent les histoires de ces orientalismes.
Tout au long du parcours chronologique de l’exposition, des contrepoints contemporains prolongent cette réflexion : des artistes vivants – Abbas Akbari, Kader Attia, Dalila Dalléas Bouzar, Nezaket Ekici, Katia Kameli, Nicene Kossentini, Fatima Mazmouz, Sara Ouhaddou, Nazanin Pouyandeh, Zineb Sedira, Wael Shawky, Rayan Yasmineh, Nil Yalter, Amir Youssef – revisitent ces héritages, déplacent les regards et proposent de nouvelles lectures qui continuent de structurer et de questionner le présent.
Entre passé, présent et futur, l’exposition invite à penser autrement la diffusion des formes et la manière dont nous regardons les œuvres aujourd’hui. Revenir aux « Mille et Une Nuits » et aller « par-delà », c’est reconnaître que les orientalismes sont des récits. Comme tous les récits, ils ont été et peuvent être transmis, réécrits, modifiés, questionnés, enrichis, critiqués, recréés. Comme tous les récits, ils comportent leurs parts d’ombre et de lumière. Comme tous les récits, la suite de l’histoire reste à écrire, comme l’expriment les regards des artistes contemporains.
Commissariat :
Gwenaëlle Fellinger, Conservateur, département des Arts de l’Islam, musée du Louvre
Souraya Noujaim, Directrice, département des Arts de l’Islam, musée du Louvre
Annabelle Ténèze, Directrice du Louvre-Lens
Assistées de Marie Gord, Chargée de recherches au Louvre-Lens
Scénographie :
Philippine Ordinaire, directrice artistique, avec Mathis Boucher, architecte-scénographe au Louvre-Lens